La Cordillère des Songes, si les pierres pouvaient parler

La Cordillère des Songes
de Patricio Guzmán
Documentaire
Avec Jorge Baradit, Vicente Gajardo, Francisco Gazitúa
Sorti le 11 décembre 2019

Une trilogie qui se clôt

Bien que le Chilien Patricio Guzman ait été contraint de s’exiler en France après le coup d’Etat militaire, son cinéma est tout entier tourné vers l’histoire de son pays natal. Le documentariste est connu pour La Bataille du Chili, captation en trois volets d’une révolution socialiste pacifique portée par Allende, oeuvre soutenue par Chris Marker et extrêmement diffusée à travers le globe (et non pas les canaux télévisés chiliens).

En 2010, il entamait avec Nostalgie de la Lumière une réflexion sur la mémoire historique et politique du pays, par laquelle il met le territoire chilien en relation avec son histoire. Dans ce premier film de la trilogie, Guzman se penchait sur le désert d’Atacama, qu’il considère à la fois comme une espace intemporel et comme un réceptacle du passé.

En 2015, avec Le Bouton de nacre, le réalisateur descendait vers la Patagonie et plus précisément la côte pacifique pour faire parler la mémoire de l’eau.

Cette année, nous découvrons le troisième volet de la trilogie, La Cordillère des songes, dans lequel Guzman conclut sa cartographie de la mémoire chilienne en faisant celle de la Cordillère des Andes. Le pays de son enfance, il ne le reconnait plus. Il revient sur les événements qui l’ont rendu méconnaissable et se pose la question : Si les pierres de la Cordillère pouvaient parler, que nous diraient-elles ?

La Cordillère perçue par des artistes nationaux

Dans sa jeunesse, le réalisateur et sa génération étaient trop occupés par leur lutte sociale pour s’intéresser aux montagnes qui traversent le Chili. Ensuite, la Cordillère, colonne vertébrale du pays mais paradoxalement terre inconnue pour les Chilien.nes, Guzman s’est mis à l’observer, depuis la France. Il s’en approche aujourd’hui pour tenter de la comprendre à travers ses représentations. Il interroge des artistes du pays sur leur rapport à cette chaine de montagne, qui protège les Chilien.nes en même temps qu’elle les sépare du reste du monde.

La Cordillère devient pour lui le symbole de la rupture brutale que constitue le coup d’Etat de Pinochet, tant dans l’histoire nationale que dans son histoire personnelle.

Le Chili perçu de l’intérieur par un documentariste témoin

Guzman se sert des images du cinéaste Pablo Salas pour témoigner des années de dictature. Celui qui est tenu au loin et qui s’est adressé à la communauté internationale se tourne vers celui qui est resté là-bas pour diffuser à l’intérieur du pays ce que le régime refusait de montrer : les images des violences policières qui attestent la dictature. Salas, qui a été parmi les témoins de première ligne de l’instauration du capitalisme et de ses conséquences sociales désastreuses, ne s’est jamais arrêté de filmer les soulèvements populaires et leurs répressions. On l’imagine aujourd’hui dans les rues, continuant son travail sans relâche parmi les smartphones levés.

L’avenir du pays perçue par le cinéaste

Si les pierres de la Cordillère pouvaient parler, que nous diraient-elles ? Et le cinéaste en exil de répondre : Si les pierres de la Cordillère pouvaient parler, elles parleraient du sang qui a coulé sur elles.

Nostalgique, Guzman souhaite que le Chili retrouve son enfance. Mais il sait que ce qui a changé le pays de sa propre enfance est de nature tenace. Ce Chili néolibéral qui pousse les foules à se soulever à nouveau aujourd’hui, comment pourrait-on le changer ? Comment défaire l’héritage du régime de Pinochet ? Le réalisateur semble dire que ce n’est pas possible.

Ainsi se conclut cet essai géographique, politique et poétique sur la mémoire chilienne, cheminement à la conclusion désillusionnée, oeuvre douloureuse et nécessaire pour un pays déchiré par son histoire.