J’ai toujours su, qu’un jour, je mourrai écrasée par un frigo tombé du ciel, le titre très long d’une pièce trop courte

D’Adèle Sierra. Mise en scène de Jonas Wertz et Simon Delvaux. Avec Léa Dedeurwaerder, Arthur Carbillet et Adèle Sierra. Le 1er avril 2024 au Théâtre des Riches Claires.

Si le but d’une comédie est de faire rire, et donc de divertir, on peut se satisfaire du fait que le genre dépasse souvent ce premier objectif en allant chercher une certaine profondeur dans sa thématique. En utilisant le rire afin de dénoncer certains comportements sociaux, la comédie permet de corriger les mœurs avec douceur, sans brusquer son spectateur. C’est le fameux castigat ridendo mores, mantra du genre depuis le 17ème siècle et Molière. Alors oui, placer une citation latine dès le premier paragraphe et, en plus, name dropper l’auteur de comédies le plus connu de tous les temps, ça peut faire pompeux et franchement désincarné. Mais c’est véritablement cette idée que l’on retrouve dans la pièce qui nous intéresse ici : J’ai toujours su, qu’un jour, je mourrai écrasée par un frigo tombé du ciel.

S’il n’est pas vraiment question de frigo, c’est surtout le ciel qui tombe sur la tête d’une enfant. Ses parents se séparent, soit, le problème n’est pas là. Deux maisons, ça veut dire deux chambres, deux fois plus de cadeaux à Noël, deux brosses à dents. C’est une division qui fait que tout se multiplie. De ce point de vue là, c’est presque chouette. Le souci, comme souvent, c’est les adultes. Car, qui dit divorce dit rupture, et qui dit rupture dit déchirure, un processus rarement doux, et rarement chouette. L’enfant attend donc avec une joie non feinte 18h, l’heure à laquelle elle change de maison pour la semaine. Mais 18h arrive et rien ne se passe. Ou, tout du moins, personne ne vient voir l’enfant, la déchirure a lieu de l’autre côté de la porte et elle est violente. Heureusement, cette enfant n’est pas vraiment seule. Toujours avec elle, il y a Simon et Charlotte, sa voix de gauche et celle de droite, deux amis, certes imaginaires, mais pas irréels pour autant.

J’ai toujours su, qu’un jour, je mourrai écrasée par un frigo tombé du ciel c’est donc un peu moins d’une heure plongée dans la tête d’une enfant où se combattent une réalité destructrice et un onirisme anarchique. D’une part, la pièce ne tombe pas dans une opposition simpliste du bien et du mal, car du rêve peut naître le cauchemar, l’effroi, et de la réalité peut venir l’espoir. Ces deux « espaces » s’interpénètrent si bien qu’il n’y a plus de faux : l’imaginaire est tout aussi réel que la réalité elle-même. D’autre part, le spectacle évite l’écueil de bon nombre de projets (qu’ils soient théâtraux ou cinématographiques) qui mettent en scène des enfants : ne s’adresser qu’à eux.

Évidemment, les enfants sont un public cible. En se plaçant directement dans la tête de l’une d’entre eux, J’ai toujours su, qu’un jour, je mourrai écrasée par un frigo tombé du ciel, tente de rendre concret le processus mental enfantin, de diffuser le message « non, vous n’êtes pas seuls, on peut en parler ». Cependant, en chargeant frontalement le comportement parental dans la naissance de traumatismes, la pièce s’adresse à eux : la bataille d’ego qui se joue lors d’un divorce a une influence néfaste sur le quotidien et sur le futur de l’enfant. Ces deux niveaux de lecture s’incarnent aussi dans l’humour utilisé où le côté burlesque se montre efficace auprès du jeune public, mais est assez empreint de second degré pour embarquer les adultes avec. Tout est une question d’équilibre et si quelques blagues sont, clairement à destination des plus petits, d’autres leur seront inaccessibles.

Par ce double niveau de lecture J’ai toujours su, qu’un jour, je mourrai écrasée par un frigo tombé du ciel, réussit un pari, celui de parler aux adultes comme aux enfants, où la naïveté de ces derniers ne vient que souligner l’absurdité du comportement de leurs aînés. Un spectacle plus à charge qu’il n’y parait, qui invite autant les uns à communiquer sur ce qui les oppresse que les autres à réfléchir aux conséquences de leurs actes, le tout sans lourdeur, sans culpabilisation, mais, au contraire, avec une certaine poésie et beaucoup d’humour.