« Hawar, nos enfants bannis », entre communauté et maternité

Hawar, nos enfants bannis
de Pascale Bourgaux
Documentaire
Présenté en compétition nationale au Brussels International Film Festival 2023

Le documentaire Hawar, nos enfants bannis, diffusé pour la première fois en Belgique durant le Brussels International Film Festival, revient sur l’enlèvement de femmes yazidies par des djihadistes en août 2014, lors de l’invasion de l’Irak par Daesh. Des milliers de jeunes femmes ont fait l’objet d’une traite, ont été attribuées de force à des hommes pour leur être mariées et sont devenues des esclaves sexuelles pendant des années. La plupart d’entre elles ont donné la vie à des enfants. Une fois libérées, au moment de retourner dans leur communauté, cette dernière a refusé ces enfants en considérant qu’ils et elles étaient les enfants de « l’ennemi ». Ainsi, des milliers d’enfants vivent aujourd’hui dans des orphelinats, loin de leurs mères qui voudraient parfois les récupérer. Cet éloignement a souvent pour conséquence que les enfants ne peuvent pas développer de lien avec elles et ne les reconnaissent parfois même pas. Dans ce contexte nous suivons durant trois années le combat d’une de ces mères, Ana, qui espère pouvoir fuir un jour avec sa fille Marya, avec qui elle ne peut pas vivre pour le moment.

La double peine des survivantes yazidies

Comme quasiment toutes les survivantes yazidies, Ana subit une double peine. Elle a été enlevée à dix-neuf ans et a subi des violences sexuelles quotidiennes dans le cadre d’un mariage forcé. Elle est tombée enceinte et a accouché d’une fille. Une fois libérée de Daesh, elle est retournée dans sa famille avec son enfant d’un an. Son père et son oncle lui ont très rapidement demandé de l’abandonner, ce qu’elle a refusé de faire. Marya lui a pourtant été enlevée par l’effet d’un stratagème où on lui a fait croire que sa fille ne partirait que pour quelques jours, quand elle lui a en réalité définitivement été arrachée. Ana a tenté de contester mais sa contestation a toujours été sévèrement rabrouée par sa famille, si bien qu’elle doit dorénavant agir en secret pour maintenir un contact avec Marya.

Les victimes d’un système patriarcal multidimensionnel

Le documentaire met en lumière le système patriarcal dont ces femmes sont victimes et qui a pris diverses formes au fil du temps. Elles ont subi des violences physiques, sexuelles et psychologiques, utilisées comme des armes de guerre contre la communauté yazidie. Leur libération est à nuancer dans la mesure où le clergé yazidie et les leaders communautaires ont refusé qu’elles réintègrent leur famille avec le fruit de leurs entrailles. Elles sont réduites au silence et leur souffrance n’a pas le droit de cité. Certaines ne supportent pas cette ultime violence et finissent par fuir ou se donner la mort. Le ton du film ne condamne pas pour autant la posture majoritaire de la communauté yazidie. Les images des rituels mis en place pour retrouver individuellement et collectivement de la dignité sont d’ailleurs fascinantes et revêtent une dimension quasiment mystique.

Une traversée au cœur de l’intime

Durant la majorité du documentaire, nous sommes dans une voiture avec Ana. Avec elle, nous traversons le Kurdistan pour retrouver sa fille. Le coffre est chargé de cadeaux qu’elle a achetés pour lui offrir. Pour des raisons de sécurité, elle est exclusivement filmée de dos. Nous ne voyons pas son visage mais nous sommes proches de son cœur. Les émotions ressenties sont à l’image des paysages traversés : déserts, montagneux, parfois arides. Les confidences d’Ana et les prises de vues nous font parvenir sa peine abyssale, son courage indéfectible et surtout son amour pour sa fille. Cet amour est partagé par les grands-parents paternels de Marya qui s’occupent d’elle et dont les paroles pacifistes sont inspirantes. Il l’est aussi, dans une certaine mesure, par des allié·e·s dans la communauté yazidie, des employées des orphelinats, des diplomates et des humanitaires qui agissent dans l’ombre.

Ainsi, Hawar, nos enfants bannis met en lumière le tabou autour de l’existence de ces enfants. Il lance un cri d’alerte au monde, en invitant à admirer la détermination des mères comme Ana et surtout à trouver une solution politique à leur situation.