« La paix des sexes », un essai paradoxal

Titre : La paix des sexes
Autrice : Tristane Banon
Editions : Alpha
Date de parution : 17 mai 2023
Genre : Essai

Dans La paix des sexes, ce n’est pas la morale qui fait la justice, Tristane Banon développe une critique de ce qu’elle considère être une « revendication victimaire » de mouvements féministes actuels. L’auteure se dit féministe universaliste. Sa pensée s’inspire de la perspective existentialiste de Simone de Beauvoir. Si le sujet de la victime -d’agression ou de violence sexuelles principalement- constitue une porte d’entrée, elle partage ses positions sur une variété de sujets (écriture inclusive, voile, « cancel culture », galanterie, etc.) et s’inscrit dans une mouvance « anti-woke ». Dans cet essai, elle mobilise en partie sa propre expérience, qui a fait l’objet d’un important traitement médiatique il y a quelques années. Elle parle majoritairement du cas français et revient sur certains épisodes sociétaux marquants comme l’« affaire DSK » ou le #MeToo.

L’écriture est plutôt fluide et un fort engagement personnel se fait sentir. Le droit y occupe une place centrale, presque sacrée. Tristane Banon revient sur les principales dates qui ont marqué l’inscription des droits des femmes dans la loi française. Elle défend l’idée selon laquelle la « guerre des sexes », c’est-à-dire entre les femmes et les hommes, n’aurait de sens que pour imposer l’égalité des droits des premières avec ceux des seconds. Elle considère que cet objectif est atteint. Dès lors, de nombreux positionnements féministes contemporains se tromperaient d’époque alors que les acquis juridiques seraient déjà là. L’essai est en effet très critique envers certaines idées du féminisme actuel perçu comme extrême, même s’il ne fait pas l’objet d’une véritable définition. L’auteure mentionne aussi des épisodes personnels de confrontation.

Tristane Banon prône la nuance et appelle finalement à maintenir une pensée critique. En cela, l’ouvrage a le mérite d’inviter les féministes dotées d’un bagage théorique à interroger leurs propres contradictions et à chercher de la cohérence dans leurs actes. Pourtant, l’auteure ne semble pas toujours appliquer ce sens de la mesure à sa propre pensée qui tend à homogénéiser certains groupes (les hommes, les féministes), voire à caricaturer leurs discours en reprenant quelques mythes comme le supposé souhait d’une « tyrannie inversée » entre les sexes ou encore celui des « émotions » associées aux revendications féministes. Ceux-ci ne sont pas sans rappeler la façon dont les femmes féministes ont longtemps été, et sont encore parfois aujourd’hui présentées comme des hystériques.

Certains arguments résistent difficilement à l’épreuve de la réalité. Ainsi la démonstration manque-t-elle d’une perspective sociologique qui lui permettrait probablement d’être plus ancrée dans le réel. Dans ce cas, elle soulignerait certainement que l’éducation à l’égalité entre les sexes, comme la déconstruction des stéréotypes de genre dans le temps long sont la base du travail de la plupart des associations féministes. La mobilisation de chiffres mettrait aussi en évidence le caractère éminemment sexué des violences en fonction de leur type. Autant d’éléments qui objectiveraient ainsi une dynamique systémique à la fois rejetée et en même temps présente à certains moments dans le texte.

Dans La paix des sexes, ce n’est pas la morale qui fait la justice, Tristane Banon propose un programme intellectuel intéressant par l’idée d’émancipation et de liberté personnelle qu’il défend mais envisageable à deux conditions, et non des moindres. D’une part, que toutes les femmes « victimes » disposent des conditions économiques et sociales qui leur donnent les moyens de le poursuivre. D’autre part, que le féminisme soit un horizon politique intrinsèquement partagé par tous les membres de la société.