La Villa Empain brandit l’étendard

Kimsooja, To Breathe – the flags, 2018-2022 (détail).
Kimsooja, To Breathe – the flags, 2018-2022 (détail).

Deux ans après Mappa Mundi, Alfred Pacquement assure une nouvelle fois le commissariat d’une exposition à la Villa Empain pour la Fondation Boghossian. Interrogeant toujours les notions de territoire et d’identité, mais cette fois-ci à travers un objet symbolique, l’exposition Flags explore la représentation des drapeaux dans l’art du XIXe siècle à nos jours.

Les valeurs du drapeau

Pour une exposition consacrée au drapeau, l’écrin est de choix. En effet, la Villa Empain est située au milieu d’une rangée d’ambassades arborant chacune leur emblème national. Les œuvres de 62 artistes réparties dans ce temple marmoréen Art Déco nous invitent alors à porter un regard attentif et critique sur ces enseignes devenues familières.

Drapeau, oriflamme, pavillon, bannière ou flamme, Flags présente les diverses formes et couleurs que peut prendre cette pièce d’étoffe. Symbole politique, patriotique, national ou encore révolutionnaire, le drapeau est arboré, détruit ou réinventé au gré des épisodes historiques. Les drapeaux ukrainiens récemment suspendus aux frontons des maisons et bâtiments officiels nous rappellent que sa force emblématique peut outrepasser les frontières au service d’une cause.

Après les artistes romantiques (Eugène Delacroix, Gustaf Wappers) qui ont dépeint la ferveur révolutionnaire au XIXe siècle, les œuvres d’art contemporain présentées témoignent de cette invitation du drapeau aux rendez-vous de l’Histoire. Les sculptures en bois flotté (1960) de Claes Oldenburg évoquent le pacte fondateur des principes de l’autonomie américaine, tandis que l’installation Printemps perdus (2017) de Mounir Fatmi aux balais soutenant les couleurs de la Ligue des États arabes fait écho aux récents bouleversements dans la région. Dans la Mappa tissée d’Alighiero Boetti (1989), c’est la dimension géopolitique du drapeau qui est mise en avant.

Certains artistes réutilisent ce symbole comme outil de dénonciation. Dans la vidéo Western Flag (Spindletop, Texas, 2017) de John Gerrard, le pavillon de fumée noire est une critique de l’exploitation des puits de pétrole. Le drapeau américain recouvert d’objets militaires par l’artiste Danh Vo, quant à lui, blâme l’impérialisme américain.

Un symbole d’identité nationale ?

L’œuvre inaugurale de l’exposition signée Kimsooja donne le ton. Chaque drapeau suspendu dans le grand hall de la villa, sous la verrière, est une superposition de drapeaux nationaux. L’ancien drapeau de la Martinique est ainsi associé à celui des îles Marshall. À l’heure de la mondialisation et du multiculturalisme, l’artiste questionne la signification identitaire de nos étendards et souligne l’approche transnationale chère à la Fondation Boghossian.

Fierté nationale dans la sérigraphie Moonwalk (1987) d’Andy Warhol, mais recouvert de noir dans le dessin Black Flag #2 (1990) de Roberto Longo puis réinterprété dans l’oeuvre Dépitée (2018) de Nú Barreto qui lui donne les couleurs panafricaines, le drapeau américain comme image fédératrice est remis en question.

Toutefois, d’autres bannières rassemblent au-delà des frontières géographiques. Symbole de la communauté LGBTQIA+, le drapeau arc-en-ciel se positionne dans l’oeuvre de Jonathan Monk, The World in Gay Pride Flags II (2013), comme compagnon d’une lutte mondiale pour la reconnaissance de droits.

« Une surface plane recouverte de couleurs en un certain ordre assemblées »

Cette définition d’un tableau, donnée par le peintre Maurice Denis en 1890 dans Art et Critique, pourrait également s’appliquer au drapeau. Ce support de formes colorées a certainement alimenté les réflexions des artistes modernes souhaitant ouvrir une nouvelle voie aux représentations. Dans La Rue pavoisée (1906), toile du peintre fauve Raoul Dufy, on voit combien l’étendard français est un outil d’expérimentation picturale. Le drapeau vient également corroborer le développement de l’art abstrait, dont la série des Tricolores (2017) en céramique émaillée de Thomas Schütte en est une illustration contemporaine.

Dépouillé de symbolique, le drapeau déployé sur une façade ou accroché au mur a parfois même une valeur décorative. Sara Rahbar fait ainsi du drapeau américain un objet ornemental avec Flag #30 between US and breeze (2008) réalisé en tissus brodés. Coup de maître à l’extérieur de la villa, Daniel Buren a pavoisé la piscine de 1312 flammes bleues et blanches qui dialoguent magnifiquement avec l’eau, l’architecture et la pergola.

Vue de l’installation de Daniel Buren, 1312 Flammes sur l’eau, 2022
Vue de l’installation de Daniel Buren, 1312 Flammes sur l’eau, 2022.

Noir ou blanc, le drapeau monochrome

Dans la Chambre Nord, c’est le tumulte dans la gravure de Pablo Picasso, où le drapeau noir et le trait exalté sembleraient illustrer les tensions entre l’artiste et sa maîtresse. Le drapeau monochrome incarne ici les temps mauvais, la dissension, la guerre. À l’inverse, dans la vidéo The Hero (2001), l’artiste Marina Abramovic brandit un tissu blanc, attribut pacifique. Mais l’exposition nous rappelle, avec Les Drapeaux (1830) de Léon Cogniet, que le drapeau blanc fut d’abord un symbole monarchique avant d’être consacré signe de paix par la Convention de La Haye en 1899. L’étendard sanglant n’est pas toujours levé.

Pablo Picasso, Harpie à tête de taureau et quatre petites filles sur une tour surmontée d’un drapeau noir, 1934.

Pablo Picasso, Harpie à tête de taureau et quatre petites filles sur une tour surmontée d’un drapeau noir, 1934.

Polyphonie culturelle

De nationalités multiples, les artistes rassemblés à la Fondation nous proposent en somme un voyage à la découverte des cultures et des traditions et nous confrontent aux évènements historiques et politiques. Peinture, sculpture, installation, art graphique, art décoratif, photographie, vidéo, la diversité de medium artistique présentée dans l’exposition ravira chacun. Les œuvres font l’objet d’un commentaire dans le livret de visite disponible à l’accueil, et vous croiserez peut-être le chemin d’une médiatrice à l’étage.

Et pour ceux qui trouveraient que le sujet manque de légèreté, ils trouveront satisfaction au niveau de la coursive avec l’œuvre de Wim Delvoye. Cet apôtre belge du détournement a peint à l’émail des motifs héraldiques tirés d’armoiries flamandes sur des planches à repasser. L’intention subversive de Six ironing boards (1989-1990) vous fera esquisser un sourire.

Infos pratiques

  • Où ? Fondation Boghossian – Villa Empain, Avenue Franklin Roosevelt 67, 1050 Bruxelles.
  • Quand ? Du 29 septembre 2022 au 22 janvier 2023, du mardi au dimanche de 11h à 18h.
  • Combien ? 10 EUR au tarif plein. Plusieurs tarifs réduits disponibles.