“Drive-Away Dolls”, le divertissement utile ?

Drive-Away Dolls
d’Ethan Coen
Action, Comédie, Thriller
Avec Margaret Qualley, Geraldine Viswanathan, Beanie Feldstein
Sortie en salles le 3 avril 2024

Le cinéma a souvent été utilisé afin de médiatiser un fait de société. Que ce soit pour lutter contre la misogynie, le racisme, l’homophobie ou bien d’autres oppressions, l’industrie du septième art a toujours créé des histoires en marge de la norme. Parfois, des films chocs qui imposaient un sujet dans le débat public. Après l’avoir fait exister auprès de tous, le processus naturel et lent d’acceptation de telle pratique ou telle identité doit passer par la normalisation. C’est-à-dire, par le fait de poser un personnage incarnant cette lutte dans un film dont le sujet central n’est pas ladite pratique ou identité. Plus concrètement, placer un personnage, par exemple, homosexuel dans un long-métrage qui parle d’absolument autre chose. Ce personnage aurait pu être hétéro, en l’occurrence il ne l’est pas et tout le monde s’en fout, c’est ça la normalisation.

Drive-Away Dolls s’inscrit dans cette démarche. Ce premier film qu’Ethan Coen réalise sans son frère, campe deux amies ouvertement homosexuelles qui partent à Tallahassee pour s’éloigner quelques jours de leurs mornes quotidiens. Cependant, grâce ou à cause d’un loueur de voitures un poil lent, voilà qu’elles transportent une mallette convoitée par la pègre. Par son histoire, Drive-Away Dolls se trouve à la croisée de deux chemins, celui du film de gangsters et celui du buddy movie. Si ces deux genres ont déjà pu se mélanger par le passé, il est rare que l’un ou l’autre s’articule autour de personnages féminins. Le film ne s’arrête pas là en termes d’originalité de genre puisqu’il adopte le ton et l’esthétique des films de sexploitation et de série B des années 70.

Drive-Away Dolls n’est donc pas un film militant au sens premier du terme. Pourtant, en utilisant les codes des films de gangsters ou des buddy movies (mallette au contenu secret, road trip en voiture) avec deux personnages principaux féminins et homosexuelles, le long-métrage participe clairement à une idéologie progressiste revendiquant l’égalité des genres et des identités sexuelles. Ce qui arrive à des mecs hétéros peut arriver à des meufs lesbiennes, et elles ne s’en sortent pas plus mal que leurs alter ego. Cette revendication est beaucoup plus subtile, car elle n’est, à priori, pas militante : le film est un pur divertissement. On y trouve des voitures qui roulent vite, des armes qui tirent fort, des méchants très méchants et des gentils très très gentils.

Le but de la narration n’est donc pas de poser un regard réfléchi et pondéré sur la place de la femme dans la société et de l’injustice que vivent les communautés LBGTQIA+, mais de passer un moment cool, fun, décomplexé et marrant. En se vendant comme tel, Drive-Away Dolls pourra peut-être toucher un public qui n’est pas celui du cinéma militant classique, mais celui des films d’action. Un public plus large, plus hétéroclite et pas forcément encore convaincu par cette normalisation des identités sexuelles et de genre. Ainsi, Drive-Away Dolls peut tenter le tour de force de rendre le divertissement utile socialement, avoir un véritable impact malgré une narration peu originale et une certaine vacuité politique.