« La Bestia », quand le thriller ésotérique rencontre le roman historique

Titre : La Bestia
Autrice : Carmen Mola
Editions : Actes Sud
Date de parution : 12 octobre 2022
Genre : Thriller

Madrid 1834, dans la misère causée par l’épidémie de Choléra, de jeunes filles sont découvertes assassinées et sauvagement démembrées. Les habitants du quartier disent que c’est l’œuvre d’une bête mi-lézard mi-sanglier. Un jeune journaliste Diego Ruiz et son ami Donoso, un policier borné, sont plongés dans une intrigue mêlant occulte et guerre politique espagnole intestine.

Ce thriller est signé Carmen Mola, pseudonyme d’un collectif de trois scénaristes espagnols : Jorge Diaz, Augustin Martinez et Antonio Santos Mercero. Malgré ce que l’on pourrait craindre avec cette écriture à six mains, le style de ce thriller est fluide et cohérent. L’intrigue progresse à vitesse variable, accélérant certaines révélations tout en prolongeant des mises en contexte et l’installation d’un suspens relatif.

Certains personnages sont narrativement très forts. C’est le cas de la plupart des personnages féminins dans cet ouvrage. Ce sont elles qui nous permettent d’entrer dans un processus empathique. C’est particulièrement le cas avec le personnage de Lucia. Cette jeune fille de quatorze-ans, dégât collatéral de la cruauté d’une époque qui néglige les pauvres et les sacrifient sur l’autel de la piété.

Multiples intrigues : trop ou juste assez ?

Dès le départ, nous sentons que beaucoup d’enjeux se chevauchent. L’époque se déroule en pleine guerre civile espagnole dans laquelle carlistes et isabelinos s’opposent (deux mouvances politiques pro ou opposé à la succession désignée par feu le roi Ferdinand VII d’Espagne). Par ailleurs, l’épidémie de choléra attise les tensions entre le clergé et les pauvres, accusés d’avoir provoqué la colère de Dieu. Dans le même temps, de jeunes filles sont découvertes mutilées et démembrées dans les recoins les plus sombres de Madrid. On accuse une Bête mystique, un monstre sorti tout droit de l’enfer venu dévorer les enfants d’Espagne.

Malgré la complexité de ces différentes intrigues, on soulignera la capacité des auteurs à ne pas s’égarer et à conserver une pertinence à travers tout le récit. Toutefois, si nous devions trouver un bémol, nous trouvons dommage que la promesse ésotérique du départ ait été si timidement abordée. On sent un parti pris qui n’a peut-être pas été totalement assumé. A moins que ce soit la succession des enjeux qui ait noyé l’accroche de départ.

Maintenir l’intérêt : un pari gagné

Le véritable tour de force de cet ouvrage est que malgré les 477 pages qui le compose, l’intérêt est continuellement alimenté. On a tout simplement envie de connaitre la suite, de savoir ce qui se cache derrière ces crimes mystérieux. Pour les fans d’Histoire, l’immersion dans cette Espagne du 19ème siècle est un vrai succès. On voit, on ressent… on hume presque ces rues délabrées, ces bordels, ces quartiers, ces palais. On ressent les tensions entre les personnages et surtout on est immergés dans une époque où l’obscurantisme avait encore de beaux jours devant lui.

Au final, La Bestia est un thriller intéressant mêlant suspens et richesse narrative. Il conquerra les amateurs de roman historique à la sauce policière. Tout en permettant aux novices des romans ésotériques de ressentir ce petit frisson empreint de mystère et de superstition diabolique.