« Double rêve », petits fours et adultère

Titre : Double rêve
Auteur : Arthur Schnitzler
Editions : Rivages
Date de parution : 14 juin 2023
Genre : Roman

Une ombre surgit dans la nuit. C’est Fridolin (oui, oui Fridolin !). Un mari qui se dérobe au lit conjugal. Un docteur qui traîne avec lui l’odeur du mort qu’il a veillé. Un explorateur qui n’a pas envie de se coucher. Comme revenu à un état animal, il attend de la lune qu’elle assouvisse ses fantasmes. Son vœu s’exauce quand, à la faible lumière d’une taverne, il distingue quelques traits d’un visage familier. Ce n’est autre que Nightingale ; un excentrique, juché derrière son piano, lui qui a préféré au confort que promettaient ses études de médecine, l’incertitude d’une vie de bohème. Plus tard dans la nuit, il jouera pour divertir une société très secrète où des hommes parmi les plus puissants – toujours masqués – s’affranchissent de toutes limites morales. Pour Fridolin, c’est un billet simple pour l’extase. Et pendant qu’il consomme cette nuit mystérieuse où tout est permis, sa femme Albertine (oui, oui Albertine !) s’octroie, à l’abri dans ses rêves, elle aussi, quelques libertés.

Double rêve est comme un souvenir. Voici que nous reviennent des images d’un érotisme suranné, comme recouvertes d’un voile bleu, des corps chauds et humides qui s’y impriment. Ce n’est pas le songe d’une nuit d’été qui nous aurait laissés en nage dans nos draps, mais quelques scènes du dernier Kubrick qui hantent encore nos mémoires. Et à raison ; le réalisateur américain s’est très librement inspiré des pérégrinations de Fridolin dans le monde d’Eros pour écrire son Eyes Wide Shut. On lui retrouve cette même bourgeoisie avide de sensations, l’excitation des interdits transgressés, le fantasme d’une relation adultérine et surtout, cette fameuse société secrète omnipotente et libertine.

Bon, Albertine et Fridolin deviennent naturellement Bill et Alice. Moins risqué. Et peut-être parce qu’il est question d’images et non de mots, Kubrick se laisse tenter par un univers plus abstrait, plus illusoire, que celui proposé par Schnitzler. Dans Double rêve, il y a une chronologie que Kubrick s’est amusé à nier pour abolir toute forme d’ordre. Eyes Wide Shut noie le spectateur dans un rêve alors que Double rêve va avoir tendance à l’y guider. Mais Schnitzler ne nous rappelle pas seulement Kubrick. Pour son format de livre-nouvelle – se refusant une écriture qui s’épanche – et sa culture autrichienne du début de siècle, Schnitzler a des airs de Zweig. Et Fridolin, quant à lui, nous évoque un peu une version sentimentale de monsieur Scrooge qui rendrait visite aux femmes qu’il a connues, aimées, désirées.

Ce n’est pas un livre marquant. On le traverse comme un rêve dont on aurait, au réveil, du mal à tirer un enseignement. Et pourtant, comme un rêve, il peut s’analyser à l’infini. Un jeu sur la dualité, une analyse du subconscient et des différentes phases de l’amour, voilà ce que pourrait dénicher le lecteur avide de symbolique dans l’univers de cet écrivain qui a correspondu avec Freud.