« Un bref instant de splendeur », la délicatesse du chaos

Titre : Un bref instant de splendeur
Auteur :  Ocean Vuong
Editions : Folio
Date de parution : 18 août 2022
Genre : Roman

Salué par les critiques d’abord aux États-Unis puis en France, cet ovni littéraire sort enfin en format poche pour le plus grand bonheur des petites bourses et des grands voyageurs. Car, il faut bien le lui reconnaître, Un bref instant de splendeur n’a pas volé ses éloges. Ocean Vuong fait d’une simple lettre qu’il adresse à sa mère, la promesse d’une œuvre complexe naviguant à travers des registres littéraires variés, de la poésie au récit épistolaire en passant par le journal intime.

Héros de sa propre histoire, Vuong raconte les blessures dont il est l’héritier. Sa mère –  trop blanche pour être vietnamienne, trop jaune pour être américaine – est marquée par la violence d’une guerre dont elle est elle-même le produit. Lorsqu’elle émigre aux États-Unis, avec un enfant en bas âge et une vieille femme que les bombardements ont rendue schizophrène, elle ne maîtrise pas l’anglais et parle un vietnamien sommaire. D’une mère qui ne sait s’exprimer que dans l’agressivité à un amant dont le comportement brutal est la marque d’une homosexualité refoulée, Vuong dresse le magnifique portrait de ces personnes qui l’ont fait souffrir autant qu’ils l’ont aimé.

De la douleur, il y en a. Mais cette douleur n’a ni couleur, ni nationalité. Certes, l’histoire de Vuong n’est pas indépendante de celle d’un pays ravagé par les incursions militaires et brûlé au napalm. Mais ce Vietnam qui criait sous les bombes n’a rien à envier à une Amérique d’aujourd’hui, rurale et précarisée, jetée en pâture aux entreprises pharmaceutiques. Dans ce roman, la guerre du Vietnam se tient debout, défiant celle des opiacés qui a consumé une partie du pays de la liberté.

Vuong nous explique comment de la faiblesse de sa mère analphabète, il a fait une force. Après tout, ne prenons-nous pas réellement conscience de l’importance d’un mot que lorsque nous ne savons pas comment l’employer ? Cette langue dont il s’est servi pour se défendre ; dans son livre, il l’utilise afin de se rendre. Il baisse les armes. Et pour la sincérité de son écriture, on lui pardonne même certains excès de zèle. Mais pas seulement. Pour la richesse aussi.

Compilation fragmentée des souvenirs de l’auteur – qu’il noie dans ceux de sa famille puisqu’il semble que sa propre existence est le fruit d’une histoire qu’il n’a lui-même pas vécu – Un bref instant de splendeur s’élève comme une exploration au-delà des limites dressées par les genres littéraires. Le « nous » côtoie le « je » et le « tu », sans transition mais toujours avec cohérence. Il prend des risques sans jamais tomber dans les pièges d’une introspection égoïste, incompréhensible mais salvatrice pour son auteur. Vuong signe une autobiographie bouleversante qui laisse penser que dans ce qu’il y a de plus malheureux, se trouve toujours un bref instant de splendeur.