De Antoine Lemaire, mise en scène de Antoine Lemaire, avec Maxime Guyon et Paola Lili Ribeiro. A Présence Pasteur à 13h55 du 7 au 39 juillet (relâches les 10, 11 et 24 juillet).
Les agressions sexuelles et le viol sont encore souvent assimilés à de la violence principalement physique contre laquelle nous ne pouvons nous défendre. Mais la réalité est bien plus intangible car une agression sexuelle ou un viol débutent dès lors qu’une manipulation a lieu. Et cette manipulation peut certes prendre la forme d’une violence physique, mais également la forme d’une violence purement psychologique. Dans La fragilité des choses, c’est ce thème de la violence psychologique qu’Antoine Lemaire a choisi d’exploiter.
Le décor est intimiste. Nous nous retrouvons dans la chambre d’un jeune homme avec une table, un bureau surplombé d’un miroir, un fond de mur en brique surplombé d’une verrière, des chaises, et un lit. Toute l’action se déroulera dans ce décor, au coeur de l’intimité des échanges de nos deux personnages. Les lumières tamisée rajoutent d’autant plus à l’ambiance intime, et entre le jeu, la narration, les musiques, les vidéos qui croisent l’histoire principale… L’esprit du spectateur est subjugué par ce qui se passe face à lui, attiré de tous ses sens. Un seul choix de mise en scène nous questionne : pourquoi cette scène dansante au début de la pièce ?
La première scène débute sur la rencontre entre nos deux personnages. Elle est là pour passer un examen d’entrée en école de cinéma. Il l’accueille chez lui pour rendre service à un ami commun. Lui est censé se rendre à une soirée, mais il revient plus tôt que prévu. Dès le départ, la voix de l’acteur, d’une lenteur et intonation exagérée, nous plonge dans un premier malaise, une sensation dérangeante qui ne fera que s’intensifier tout au long de la pièce. Mais cette voix, qui fait du personnage de Maxime Guyon un être à part, pourrait également connoter que le manipulateur ou la manipulatrice est un être distinct, reconnaissable, ce qui n’est pas le cas dans la réalité. Malgré cela, et puisqu’il s’agit ici de théâtre, ce choix peut alors se justifier par le fait que la voix se fond dans l’ambiance malaisante et l’amplifie, ajoutant un élément à ce thriller psychologique et participant à amener chez le spectateur un sentiment négatif de plus en plus fort envers ce personnage masculin toujours à la frontière de la limite, par ailleurs magnifiquement bien interprété par Maxime Guyon. Face à lui, nous retrouvons une jeune fille que nous verrons se flétrir au fur et mesure de la progression de l’intrigue, envahie par une peur que Paola Lili Ribeiro nous joue avec justesse sans pouvoir en faire quoi que ce soit, et hésitant même sur les sentiments qu’elle est amenée à ressentir face au discours de son harceleur. Une peur mais également une certaine culpabilité qui la mène finalement à proposer elle-même ce qu’elle refusait catégoriquement au commencement. Au fil de ses gentilles attentions et de ses colères à lui, au fur et à mesure de ses réactions à elle, le spectateur est amené à imaginer sans doute qu’il aurait pu agir de telle ou telle manière dans cette situation, là où la jeune femme nous montre toute sa fragilité. Mais aurions-nous vraiment agit différemment ? Pire encore, en aurions-nous été capables ?
Ce formidable thriller place les mots au coeur des maux, révélant dans toute son horreur la manipulation psychologique et son aboutissement. La fragilité des choses questionne le spectateur sur sa propre fragilité mais peut également avoir une valeur éducative en nous mettant en garde contre la manipulation psychologique, mais également contre nos propres comportements, ces comportements inconscients qui peuvent éveiller chez l’autre un sentiment de culpabilité qui nous permettrait de parvenir à nos fins, et cela sans même se rendre compte du mal-être que l’on pourrait provoquer.
Enfin, cette pièce est d’un réalisme et d’une justesse tel qu’il est possible qu’une personne ayant vécu une relation de manipulation ou d’agression sexuelle ou de viol soit touchée par la véracité de ce qui nous est présenté par La fragilité des choses. S’il est bon de comprendre ce genre de situation, il est bon également de se protéger du réveil d’un traumatisme en se rendant à cette magnifique pièce en toute connaissance de cause.
