« 120 battements par minute », récit d’un combat

120 battements par minute
de Robin Campillo
Drame
Avec Nahuel Perez Biscayart, Arnaud Valois, Adèle Haenel
Sorti le 23 août 2017

«  Nous ne voulons pas mourir  ».

Ces quelques mots, prononcés par un des personnages de 120 battements par minute lors d’une manifestation contre le sida, peuvent parler à tout le monde. C’est un appel à l’aide, simple mais déchirant, lancé par une personne qui refuse de baisser les bras face à la maladie et l’indifférence de la société. Ce sont des mots qui devraient se suffire à eux-mêmes mais qui, tragiquement, devront être inlassablement répétés et défendus.

Nous sommes au début des années 90, et le virus du sida fait des ravages depuis presque 10 ans. Il touche particulièrement les homosexuels, les prostitués et les toxicomanes — des groupes minoritaires que les médias, les politiciens et les firmes pharmaceutiques choisissent le plus souvent d’ignorer. Face cette à situation intolérable, l’association Act Up-Paris, qui regroupe en majeure partie des personnes séropositives, milite activement pour que les mesures nécessaires à l’endiguement de l’épidémie soient prises. Leur action consiste généralement à disrupter l’ordre afin d’attirer l’attention du public sur le sujet. Ils perturbent des réunions, pénètrent dans des bureaux d’entreprises, balancent du faux sang sur les murs, et de manière générale, accomplissent des actions illégales dont il est difficile de ne pas approuver. Le film bouillonne de leur colère, nous communiquant avec vigueur le profond sentiment d’injustice ressenti par ses personnages, et investissant notre esprit des mêmes questions qui les taraudent. Il ne faut d’ailleurs même pas une heure au film pour faire du jargon scientifique de la maladie du sida un sujet d’intérêt fort chez le spectateur.

La plus grande surprise du film tient justement dans sa capacité à nous passionner pour des événements a priori peu divertissants, tels que des réunions d’association. Entre les mains d’un cinéaste moins talentueux ces scènes auraient pu facilement être ennuyeuses et didactiques, mais fort de son expérience avec le film Entre les murs, dont il était le co-scénariste, Robin Campillo nous happe complètement dans les tensions internes du groupe. Il filme leurs discussions comme un docudrame, saisissant tout les enjeux qui se jouent dans ces échanges où des questions de morale, de justice, d’image publique et d’égalité sont débattues avec intensité, animosité et urgence.

À la fois fresque d’une époque et d’un mouvement, 120 battements par minute est aussi une oeuvre ancrée dans l’intime. Aidé par une remarquable troupe d’acteurs, le film nous dresse de brefs, mais touchants portraits de ses personnages  : il y a Sophie (Adèle Haenel), la présidente d’Act Up qui tente de réconcilier les buts de l’association avec ses effets, Nathan (Arnaud Valois), un séronégatif qui choisit de militer par solidarité, ou encore Sean (Nahuel Pérez Biscayart) un jeune séropositif qui sert de personnage principal au film. Comme tant d’autres, il est une victime de la maladie et du silence, mais c’est aussi un individu à part entière, une force de la nature qui n’hésite pas à exprimer pleinement sa voix, sa personnalité et ses idées face aux autorités, aux homophobes, voire même face aux membres d’Act Up avec lesquels il est en désaccord.

Ses actions montrent un désir de ne pas seulement survivre, mais de vivre, et le film fait écho à cette volonté dans son propos et dans son esthétique. Les multiples scènes de boîtes de nuit qui le parcourent en sont un bon exemple, sublimant par un formalisme appuyé ces vies en suspens, dansant tout leur saoul. Il en va de même pour la sexualité de ces personnages  : elle est mise en scène sans ambages, avec une forte attention sur le plaisir qu’expriment leurs visages et leurs gémissements.

Cette célébration de leur vie ne soustrait cependant pas la maladie du film. La menace de la mort plane tout le long, et s’intensifie au fur et à mesure que le récit avance. La dernière partie du long-métrage possède ainsi de nombreuses scènes particulièrement éprouvantes et émouvantes, qui nous font ressentir en profondeur les douleurs traversées par ses personnages. Il aurait été facile pour Campillo d’éviter ces séquences qui, par nature, sont assez déplaisantes. On peut d’ailleurs identifier 4 ou 5 moments où le film aurait pu s’arrêter, et nous les épargner. Mais en représentant les souffrances de ses personnages jusqu’au bout, 120 battements par minute fait un choix nécessaire et important  : celui de ne pas détourner le regard face à la maladie, comme tant d’autres l’on fait.

A propos Adrien Corbeel 46 Articles
Journaliste du Suricate Magazine

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