Une saison en France, les fantômes d’Abbas

Une saison en France

de Mahamat-Saleh Haroun

Drame

Avec Eriq Ebouaney, Sandrine Bonnaire, Aalayna Lys, Ibrahim Burama Darboe, Bibi Tanga

Sorti le 2 mai 2018

Réfugiés centrafricains en France, Abbas et ses deux enfants, Asma et Yacine, tentent de s’y faire une place, de logement en logement, en attente de l’acceptation de leur demande d’asile, laquelle tarde à se faire. Ayant perdu sa femme, Abbas débute une relation avec Carole, une fleuriste rencontrée sur le marché où il travaille. Tandis qu’une famille semble se recomposer petit à petit, le processus de régularisation s’avère de plus en plus compliqué.

Sixième long métrage de fiction pour le cinéaste tchadien Mahamat-Saleh Haroun – ayant également officié durant cette dernière année en tant que ministre de la culture de son pays –, Une Saison en France a forcément, par son sujet, un aspect de naturalisme social assez prononcé. Pourtant, comme dans ses précédents films, Haroun se sert de ce terreau réaliste pour y amener d’autres choses, faire cohabiter le réalisme avec une autre dimension.

Dans son aspect très premier degré de drame à portée socio-politique, le film se montre déjà plus subtil que la moyenne, ne serait-ce qu’en prenant pour acquis l’intégrité morale et l’éthique de son personnage – il n’est, par exemple, jamais question de mariage blanc, alors que les situations mises en place pourraient très bien dériver, dans le déroulé du scénario, vers cette facilité-là. Mais il souffre néanmoins parfois d’images que projettent sur lui le passif tout entier du cinéma français. La simple présence de Sandrine Bonnaire pourrait par exemple le cataloguer dans la catégorie toute faite du « drame social français ».

Pourtant, l’aspect le plus intéressant du film est sans doute celui qui est le moins évident, mais bel et bien présent dans le fond et la forme du film, dans les intentions du cinéaste : c’est une dimension presque fantastique, en tout cas métaphysique, impliquant la notion d’esprit. Il s’agit de l’apport intrinsèquement africain du film, ce rapport aux esprits et aux morts, qui transparaît au moins lors de quatre scènes bien précises. Dans l’une d’elle, au tout début du film, Abbas borde Asma et lui fredonne une chanson africaine que lui chantait son épouse décédée. Puis, petit à petit, une voix-off féminine se superpose à celle d’Abbas. Mais le père et sa fille écoutent cette voix et semblent transcendés par l’expérience. Dans le cadre, une place est laissée pour une troisième personne, à côté d’Abbas et Asma, et l’on se doute bien que cette voix vient la remplir virtuellement.

À cette scène-là font écho deux autres, l’une située à l’ouverture du film, et l’autre proche de son dénouement. Dans ces deux scènes, Abbas est attiré, dans la nuit lors de ce qui apparaît comme des crises de somnambulismes, vers le spectre de sa femme disparue qui l’appelle. Lors de la deuxième de ces scènes, il se retrouve à genoux devant ce fantôme, puis face au vide. Happé par cet autre monde, il en sera difficilement extirpé par Carole, comme pour marquer un retour au réel, avant une conclusion qui n’échappe pas à une certaine dose de déterminisme social et « réaliste ».

Enfin, dans une quatrième scène, lors d’une inhumation, les personnages regardent un papillon posé sur une pierre tombale, puis le voient s’envoler et le suivent des yeux. L’allégorie est limpide et probablement facile, mais sa résonnance avec les deux autres scènes évoquées la rend indubitablement moins naïve car ancrée dans un projet global de faire cohabiter un décor et un contexte actuel, socio-politique, avec une histoire d’esprits et de fantômes.