The Reunion d’Anna Odell

the reunion affiche

The Reunion

d’Anna Odell

Drame

Avec Sandra Andreis, Kamila Benhamza, Anders Berg

Sorti le 27 août 2014

Un film en deux parties

D’anciens élèves de l’école Enskede de Stockholm se retrouvent après vingt ans pour célébrer leur promotion. Au milieu des discours et des toasts, Anna Odell prend la parole et exprime ce qu’ont représenté pour elle ces neuf années de scolarité : une période de rejet et de persécution. Le malaise s’installe : elle veut à tout prix parler de ce qui s’est passé ; d’autres convives ne l’entendent pas de cette oreille. La dynamique de groupe d’il y a vingt ans ressurgit rapidement…

The Reunion est un diptyque inspiré de l’histoire d’Anna Odell. La première partie, résumée ci-dessus, est une simulation, un film de ce qu’aurait pu être ces retrouvailles. Car celles-ci ont réellement eu lieu, mais Anna Odell n’y a pas été invitée. La seconde partie montre Anna Odell essayant d’entrer en contact avec ses anciens camarades pour leur montrer ce film et parler de leurs relations passées. Les deux volets réunis forment The Reunion, un projet artistique qui donne à réfléchir.

Connue depuis 2009

Si The Reunion est le premier long-métrage d’Anna Odell, elle n’est pourtant pas une inconnue pour la plupart des Suédois. Son projet de fin d’année de l’école d’art de Stockholm, Unknown Woman 2009 – 349701, dans lequel elle a simulé un épisode psychotique et une tentative de suicide, a fait couler beaucoup d’encre à l’époque. Effectivement emmenée à l’hôpital et traitée pendant 24 heures, elle a ensuite expliqué que tout cela relevait d’une mise en scène. Le directeur de l’hôpital a violemment réagi dans la presse. « Il était tellement fâché et a dit tellement de mensonges à mon propos. Des mensonges que les gens ont crus, car on fait confiance aux médecins. Après, cela a été prouvé que je disais la vérité ». Des poursuites avaient même été engagées contre Anna Odell. Mais aussi controversée et choquante qu’ait pu apparaître la démarche de l’artiste, elle avait mis en lumière la façon dont est envisagé le suicide et la manière dont sont donnés certains soins psychiatriques

La plupart des journaux étrangers n’ont relaté l’affaire que du point de vue de la polémique, sans en suivre l’évolution, ce que déplore Anna Odell. « En Suède, au contraire, c’était devenu très intéressant pour moi en tant qu’artiste, précisément parce que je voulais observer qui a le droit de dire ou de fabriquer la vérité. Qui écoute-t-on ? Je n’aurais jamais pensé que cela prendrait une telle ampleur, mais la façon dont les médias, la justice et les gens ont réagi a tout changé. Cela a modifié la perception de mon travail artistique ».

L’opinion publique a également réagi différemment lorsqu’elle a appris qu’Anna Odell avait personnellement vécu ce qu’elle avait mis en scène. « Ces 24 heures étaient une reconstitution de ma propre expérience. Au début, avec tout le bruit que cela a fait dans les médias, les gens étaient fâchés ». À l’époque, l’artiste reçoit en effet des menaces de mort et se voit alors imposer la protection d’un garde du corps. Un retournement de situation ironique. « De 15 à 23 ans j’ai passé beaucoup de temps dans les services de soins psychiatriques. Pendant la période la plus difficile, j’avais quelqu’un qui restait avec moi 24h sur 24, je ne pouvais même pas aller seule aux toilettes. Dans un sens, avoir sans cesse un garde du corps avec moi revenait au même. À la différence que ce n’était plus moi qui était la personne dangereuse, mais quelqu’un d’autre. »

L’art pour l’homme, non pour l’art

La démarche d’Anna Odell est donc bien loin de « l’art pour l’art », un principe qui ne change pas dans The Reunion, un film dans la lignée des œuvres de Thomas Vinterberg (Festen, La Chasse). L’histoire racontée et le film réalisé sont le support à une réflexion bien plus large sur les structures sociales et les relations humaines.

L’art d’Anna Odell est engagé au sens où il implique l’humain et le pousse dans ses retranchements, à commencer par Anna Odell elle-même qui se met en première ligne dans son oeuvre. Le film met en lumière comment la dynamique de groupe et les hiérarchies régissent nos rapports aux autres, et ce dès le plus jeune âge.

Que l’on observe les personnages ou que l’on s’interroge à titre personnel, on prend conscience que The Reunion attise les sentiments et les questionnements. Comment les hiérarchies de groupe déterminent-elles nos rapports ? Que fait-on des étiquettes qu’on nous appose ? Jusqu’à quel point évite-t-on de parler des vrais problèmes ? Comment le passé agit-il sur nous aujourd’hui ? Faut-il l’ignorer ou le considérer comme constitutif de notre présent ?

L’entremêlement de la réalité et de la fiction

Dans son oeuvre, Anna Odell mélange réalité et fiction jusqu’à ce qu’elles deviennent coextensives l’une de l’autre. Il y a une mise en abime du réel avec, dans la première partie, des acteurs qui jouent des personnes réelles, représentées ensuite dans la deuxième partie du film par d’autres acteurs. La manière même de filmer vise un certain réalisme, sans toutefois utiliser d’« effets de réel » comme une basse définition, des plans-séquences ou la caméra à l’épaule.

Ce n’est plus tant un postulat qu’un constat de reconnaître que l’homme évolue dans un système de croyances et d’interprétations – donc un système fictif, à commencer par les étiquettes que l’on colle aux autres ou celles que l’on fait siennes. Dans ce cas, le but n’est pas tant d’être objectif, mais de faire preuve d’une honnête subjectivité, en exposant, comme le fait Anna Odell, ses réflexions, ses doutes, ses tâtonnements, et en laissant la place pour le discours et les contradictions des autres. Poser les bonnes questions et observer est finalement plus difficile que de donner des réponses (toutes faites). L’incertitude du résultat et de la réception fait partie intégrante du processus, comme le dit Anna Odell. « Peut-être que rien n’a changé. Peut-être que cela a provoqué une réaction en chaîne. Mais la vie continue. La vie est dure, mais elle est belle et intéressante ».

La responsabilité, pas la culpabilité

Si la première impression que The Reunion peut laisser est celle d’un film sur la culpabilité, la faute et l’attachement morbide au passé, il montre aussi qu’observer et questionner permet de remettre les choses en perspective. Nos expériences, dont les premières, vécues à l’école, nous influencent et nous façonnent. Mais en évoluant dans de nouveaux contextes, en prenant part à notre expérience et en l’analysant avec un regard critique, il est possible d’opérer des changements, de « faire quelque chose de ce qu’on a fait de nous », pour reprendre les mots de Sartre. Dans ce contexte, la responsabilité n’est pas synonyme de faute, mais d’engagement, à commencer par celui de l’éducation qui doit faire connaître les rouages, bons ou mauvais, de la vie en société, et promouvoir le respect des autres.

The Reunion est une œuvre subtile et bien réalisée. On peut aimer ou ne pas aimer, mais il est difficile d’être indifférent à un film qui questionne aussi finement nos fonctionnements humains.

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