The Old Man & the Gun, Gentleman cambrioleur

The Old Man & the Gun
de David Lowery
Policier, Drame, Comédie 
Avec Robert Redford, Sissy Spacek, Casey Affleck
Sorti le 20 février 2019

Alors que s’ouvre l’année 2019, une nouvelle tendance cinématographique semble doucement se confirmer : celle des « vieux » acteurs incarnant de « vieux » personnages faisant des choses hors du commun ! Bien que cette tendance ait, au fond, toujours existé – voyons notamment le film Going in Style (Martin Brest, 1979), justement lié à l’histoire qui nous intéresse ici –, nous pourrions la faire remonter aux années 90. On pensera ainsi au génial The Rock (Michael Bay, 1996) dans lequel Sean Connery jouait un ancien agent secret reprenant du service car étant le seul homme apte à sauver une situation désespérée.

Mais le tournant semble se situer aux alentours de 2008 et de la sortie du Gran Torino de Clint Eastwood ! L’année suivante, ce fut au tour de Michael Caine de reprendre les armes dans l’extraordinaire et trop méconnu Harry Brown (Daniel Barber, 2009), avant que Sylvester Stallone ne pousse la logique plus loin encore avec sa trilogie Expendables à partir de 2010.

Si Clint Eastwood vient de renouveler l’expérience avec La Mule, c’est maintenant au tour de Robert Redford de saisir sa chance en incarnant au cinéma Forrest Tucker, braqueur de banques septuagénaire et multirécidiviste !

Si la vie de Forrest Tucker mériterait un film à elle seule, c’est ici sur une courte période que le réalisateur David Lowery choisit de se concentrer, celle du Over-the-Hill Gang – qui tenait justement son nom du film Going in Style de Martin Brest. En effet, entre 1980 et 1983, Tucker et deux associés alors âgés d’une soixantaine d’années cambriolèrent une série de banques, rendant folles les autorités incapables d’arrêter ces « papys braqueurs ».

Le moins que l’on puisse dire, c’est que si – comme annoncé – The Old Man & the Gun devait réellement être le dernier film dans lequel jouera Robert Redford, il s’agit d’un beau chant du cygne ! En effet, le comédien trouve ici un rôle parfaitement à sa mesure, dans lequel il peut libérer une forme d’espièglerie doublée d’un charme sans pareil. Redford est ici terriblement charismatique et séduisant, comme l’était – selon les témoignages – Forrest Tucker. Mais l’acteur s’entoure surtout d’une belle brochette de partenaires, à commencer par Sissy Spacek avec qui il affiche une sympathique complicité. Ce beau casting compte également en ses rangs Tom Waits, le trop rare Danny Glover et Casey Affleck dans le rôle d’un policier fatigué et stimulé par son enquête.

D’un point de vue technique, le film est joliment filmé et bénéficie d’un dynamisme pétillant. Le tout étant soutenu par des morceaux musicaux relativement bien choisis et apportant une certaine identité à l’ensemble.

Un an après son très bon A Ghost Story, David Lowery nous revient donc avec un film bénéficiant d’une magnifique légèreté et maîtrisé de bout en bout, mettant en scène un Robert Redford au sommet de sa forme ! Plus encore, à quelques arrangements prêt, The Old Man & the Gun est un film particulièrement respectueux de la réalité historique telle que nous la connaissons. Un excellent film à ne pas manquer !

Les quelques erreurs de The Old Man & the Gun [Attention spoilers !]

Ce que l’on sait de Forrest Tucker ne correspond pas forcément avec la réalité historique, car The Old Man & the Gun est basé sur l’article de presse du même nom, écrit par le journaliste David Grann pour le New Yorker en 2003. Grann ayant travaillé sur base d’entretiens avec le principal intéressé, il n’est pas impossible que Tucker ait orienté la conception que nous avons aujourd’hui de lui en se donnant un rôle de sympathique anarchiste.

Quoi qu’il en soit, le film de David Lowery parvient à retranscrire à l’écran une histoire relativement proche de la réalité, à quelques exceptions près :

  • Si The Old Man & the Gun montre un braqueur semblant exceller dans son domaine, il faut savoir que Forrest Tucker déclara lui-même avoir dû attendre l’âge de soixante ans avant de pouvoir se considérer comme un bon braqueur. De même, si on le voit ici dans un élégant costume cravate, le bandit n’adopta ce style qu’au début des années 1980. Il n’est pas impossible que Tucker ait été plus agressif dans sa jeunesse ;
  • Dans le film, Tucker rencontre Jewell après un braquage, alors qu’elle cherche à réparer son véhicule le long de la route. Essayant de semer la police, le braqueur s’arrêtera pour lui porter assistance et l’invitera ensuite à aller boire un verre. Dans la réalité, Jewell Centers aurait rencontré Forrest Tucker à une soirée : « Il est venu vers moi et m’a invitée à danser, et voilà ». Ils se marièrent le 12 juin 1982 – ce que le film ne dit pas. Dans le métrage, Tucker se présente sous le nom de Bob Callahan et cela correspond par contre à la réalité, Jewell Centers n’apprenant la réelle identité du bandit qu’après qu’il ait été arrêté ;
  • Le personnage de Waller joué par Tom Waits est un personnage composite ! En réalité, le troisième membre du Over-the-Hill Gang ne fut jamais appréhendé et la police pense que plusieurs personnes auraient bien pu tour à tour assumer ce rôle. Quoi qu’il en soit, Waller tient son nom de John Waller qui parvint à s’évader avec Tucker de la prison de Saint-Quentin en 1979. Par contre, Theodore Green (Danny Glover) a bel et bien existé : Tucker l’avait rencontré lors de son passage à la prison d’Alcatraz et l’ancien détenu n°1180 a réellement fait partie du Over-the-Hill Gang. Cependant, dans la réalité, Green n’était pas noir de peau ;
  • À un moment donné, le détective John Hunt ira rencontrer la fille de Forrest Tucker. Celle-ci parlera de « son frère ». Or, elle était fille unique. Par contre, elle avait un demi-frère, Rick Bellew Jr., dont elle n’apprit l’existence que peu de temps avant la mort de Tucker en 2003. À l’époque où se situe le film, Gaile Tucker ignorait encore l’existence de son demi-frère, elle ne l’apprendra que vingt ans plus tard ;
  • Dans le même registre, Jewell Centers demandera à un moment à Forrest s’il a des enfants. Celui-ci répondra : « J’espère que non ». Néanmoins, sa fille Gaile avait trois ans lorsqu’il l’abandonna au début des années 1950, et son fils Rick Bellew Jr. cinq mois lorsque Forrest fut de nouveau arrêté en 1953. Or, lorsque le détective John Hunt demandera à Gaile Tucker si elle avait des nouvelles de son père, celle-ci lui répondra : « Je ne suis même pas sûre qu’il sache que j’existe » ;
  • Lors de son arrestation le 10 juin 1983, Tucker aurait échappé à une fusillade avec la police avant de prendre en otage une femme et son fils. Il se serait ensuite évanouit, manquant de sang. Le film montre par contre Tucker réussissant à s’échapper, à panser ses plaies et à voler un cheval avant d’être attrapé par la police, ce qui est faux ;
  • Le film parlera de seize évasions, alors que nous en comptons en réalité dix-huit réussies (et douze ratées) ;
  • Dans la même dynamique, à la fin du film, Forrest Tucker donnera un papier à Jewell Centers sur lequel il aura consigné toutes ses évasions. Dans la réalité, il donna en fait cette liste au journaliste David Grann venu l’interviewer pour le New Yorker ;
  • Dans sa dernière partie, le film montrera Forrest Tucker en train d’appeler le détective John Hunt. Si Hunt semblait avoir une certaine forme de respect pour l’ « éthique » de Tucker, ils n’ont à notre connaissance jamais entretenu de rapport hors du cadre judiciaire.

Pour en savoir plus sur la palpitante histoire de Forrest Tucker, n’hésitez pas à lire notre dossier complet sur le sujet : « L’ouvre-boîtes », les dix-huit évasions de Forrest Tucker !