« Sérotonine », beaucoup de bruit mais peu d’effet

Titre : Sérotonine
Auteur : Michel Houellebecq
Editions : J’ai Lu
Date de parution : 7 octobre 2020
Genre : Roman

A quoi sert une énième critique de Sérotonine ? Vous vous posez la question. Et bien nous aussi. Celui qu’on ne présente plus, clamant pourtant lors de ses passages à la télévision que le succès est avant tout une source d’emmerdes, a fait en 2019 pour Sérotonine – comme à chacune de ses sorties – le beurre de bien des journalistes, surtout parmi les grands noms de la presse francophone. Et ce n’est éventuellement pas pour déplaire au premier intéressé qui, malgré le discours bien construit qu’il répète à tort et à travers pour asseoir sa position d’écrivain désabusé et inadapté aux mœurs de son époque, profite quand même d’un succès duquel il se joue (n’oublions pas que son précédent livre au sujet on ne peut plus provocateur s’est vendu a plus de 120 000 exemplaires en cinq jours). Houellebecq ne fait pas l’unanimité – mais ne dit-on pas qu’il vaut mieux une mauvaise critique que pas de critique du tout – et c’est aussi cette polarisation, certains le voyant comme un génie qui a tout compris de son siècle là où d’autres ne lui accordent que l’étiquette d’écrivain médiocre provoquant pour mieux vendre, qui attise la curiosité du lecteur et permet à l’auteur de vivre encore plus décemment sur le dos de la presse.

Critiquer un livre de Houellebecq c’est aussi parler de cette image médiatique que tout le monde lui connaît déjà, sa plume cynique étant le reflet de ce personnage du mâle blanc européen, de classe moyenne, désillusionné et qui n’a rien à raconter, qu’il s’est lui même construite. D’ailleurs ce personnage, c’est Houellebecq mais c’est aussi l’anti-héros que l’on retrouve dans tous ses romans y compris dans Sérotonine en la personne de Florent-Claude Labrouste. Après une rupture radicale avec sa vie, son travail et sa compagne –  une Japonaise superficielle à la sexualité débridée –  Florent Claude entre dans une sorte de dépression qui le pousse dans un voyage introspectif, s’immergeant dans ses relations passées et renouant avec certaines (dont Aymeric, l’image du double inversé). Florent fait également le bilan sur sa carrière professionnelle dans le monde de l’agro-alimentaire, dressant un portrait désolant mais très juste des différents mécanismes qui régissent notre manière de consommer, de la tradition vers la surexploitation à coup d’OGM façon Monsanto, en passant par l’aspect commercial de la vente des produits du terroir.

Pour ceux qui ne le savent pas, Houellebecq écrit aussi des poésies qui, méconnues, sont avant tout plus joyeuses. D’une certaine manière son œuvre romanesque et poétique forme un tout comprenant d’un côté le noir et le blanc, la tristesse et la consolation. Mais pour l’heure, l’écriture est comme toujours déprimante, coupante et référencée, composée d’une grande quantité de virgules qui viennent rythmer d’interminables phrases dans lesquelles l’auteur se perd en détails. Chacun des souvenirs qu’évoque Houellebecq est pour lui l’occasion de se lancer dans des diatribes documentées sur les vaches normandes, les hôtels non fumeurs ou encore la mécanique d’un Smith et Wesson. Dans Sérotonine, le sujet de prédilection de celui qui aime choquer est avant tout et sans surprise le sexe qu’il nous sert à toutes les sauces jusqu’à l’indigestion. Houellebecq jette un regard cynique sur les relations amoureuses et la nourriture, les deux points d’ancrage du livre, liant la bestialité du sexe et le sacrifice de la bête au profit du plaisir humain (à tous les niveaux). Mais lorsqu’on creuse un peu, on se rend compte que le récit en lui-même, sans ses apartés, est somme toute assez plat.

Houellebecq est un auteur du réel qui ancre son récit dans des paysages existants et y glisse par-ci, par-là, l’une ou l’autre personnalité publique (ceci dit, dans Sérotonine, les interventions de ces célébrités sont heureusement mieux dosées que dans d’autres de ses écrits). Florent Charles se fond dans les paysages français et espagnols donnant l’occasion à Houellebecq de s’exprimer au sujet de Niort – qui, avec le dernier livre de Mathias Enard occupe une place inespérée dans la rentrée littéraire 2020 – la qualifiant de « l’une des villes les plus laides qui lui ait été donné de voir », ce dont s’amuse le maire de la bourgade qui, au plus grand plaisir des journalistes, ne s’est pas fait prier pour répondre courtoisement à l’affront, renforçant un peu plus le succès du livre injurieux. Sans dire que le roman ne mérite pas qu’on parle de lui, il ne mérite en tout cas pas qu’on en parle autant. Le style littéraire, loin d’être insatisfaisant reste quand même un peu systématique. La meilleure manière d’exprimer notre avis sur ce livre aurait finalement été de nous taire.