Room with a view : et si on ouvrait la boite ?

© Cyril Moreau

Conception artistique Rone & (La)Horde. Musique Rone. Musique (La)Horde, Marine Brutti, Jonathan Debrouwer, Arthur Harel. Avec les danseur·ses du Ballet national de Marseille. Du 1er février au 4 février 2023 au Théâtre National.

En ce début février, la grande salle du Théâtre National nous accueille dans une ambiance de boîte de nuit : c’est avec des basses puissantes et un rythme irrésistible que Room with a view commence à s’imposer. La lumière éclaire encore la salle mais le spectacle a déjà commencé. La musique de Rone fait vibrer un décor postapocalyptique, un corps danse pris dans des pulsions vives. D’autres corps entrent en scène et se mettent à danser des histoires d’équilibre, de jeux de forces, de suprématie, de tensions. Leurs mouvements sont de plus en plus à la limite de la boîte, ils jouent sur le fil qui sépare la stabilité de la chute, et une partie du public parle encore comme si la lumière de la salle les empêchait de devenir spectateurs et spectatrices.

Les gestes maitrisés et justes des excellents artistes du collectif (LA)HORDE (à la direction du CCN Ballet national de Marseille) deviennent de plus en plus performatifs. On regarde comme on regarderait au travers d’une section d’une pièce, ou au travers d’un mur, cette société au bord du gouffre de laquelle on fait tous et toutes partie, mais que l’on voit de près seulement quand les lumières de notre vie quotidienne s’éteignent, quand le train-train s’arrête et on s’octroie la possibilité de soulever le couvercle pour écouter nos pulsions. Il se situe où, notre point de non-retour ?

Room with a view est un puissant gros plan de notre société, de ses dynamiques et de ses révoltes. Et, au centre de tout ça, on trouve le corps dans un ensemble de corps, des individus dans un groupe : ils se prennent et se laissent, s’entrelient et se repoussent, se battent entre eux, se protègent et s’agressent. Quand ils ne sont pas en compétition, ces corps collaborent et manifestent leur contrariété et leur envie de casser l’emballage pour revenir à l’humain, sans plus de relation de force, de catégorie, d’étiquettes, de hiérarchie et de schémas préétablis.

On assiste au moment où la structure craque enfin sous le poids de dynamiques lourdes à porter et on participe – en tant que spectateurs et spectatrices – à la représentation d’un moment liminal après lequel rien ne serait plus comme avant. Les doigts d’honneurs bien levés, les artistes sur scène sortent leur voix, poussent des cris, et continuent de proposer des alternatives subtiles au travers de leur mouvement collectif. A la fin, le public – enflammé et debout – continue à applaudir pendant longtemps cette magnifique performance, malgré les lumières de la salle qui se rallument.

A propos Elisa De Angelis 55 Articles
Journaliste du Suricate Magazine