« Quitter la nuit », l’humanité en plein jour

Quitter la nuit
de Delphine Girard
Drame
Avec Selma Alaoui, Veerle Baetens, Guillaume Duhesme
Sortie en salles le 21 février 2024

Si Quitter la nuit peut surprendre par son fond, c’est tout d’abord par sa forme qu’il interpelle. Le film se divise, en effet, en deux : une première partie, assez courte, qui reprend un fait d’hiver, un appel passé à la police où la victime fait mine d’avoir sa sœur en ligne, et une seconde plus longue, les conséquences de tout ce qui a mené à cet appel. La première partie se passe de nuit, un double huis clos qui alterne entre les locaux de la police et la voiture d’où Aly donne son coup de fil. Intense, suffocant, ce début de film se fait sans ellipses. Puis la situation se termine, amenant un nouvel équilibre et une nouvelle narration, celle, presque, de la chronique judiciaire, étalée sur plusieurs semaines au bas mot, filmée de jour, se baladant d’un lieu à un autre au grès des pérégrinations de personnages hantés par cette nuit qui ne les quitte pas. C’est un second film qui commence, comme un long-métrage qui suit un court. Une idée qui retranscrit parfaitement la réalité, un incident qui ne prend que quelques minutes a des conséquences, sur les corps, sur les esprits et dans les poursuites qu’il amène, qui durent des mois, voire des années, voire…

Et c’est bien par cette représentation de la réalité que Quitter la nuit tire son épingle du jeu. D’une part, le film de Delphine Girard amène une réflexion sur la réparation. Il incite tout un chacun à bien prendre conscience des conséquences de ses actes, car tout, ou presque, se suit d’un quelque chose. D’un quelque chose de parfois brutal, de parfois long, d’un quelque chose qu’il faut, de toute façon, appréhender en amont en se mettant à la place de l’autre afin d’anticiper et, à défaut, de pouvoir comprendre en aval. À cette humanité demandée s’ajoute une représentation de l’humain, un enjeu qui pourrait se résumer ainsi : s’accorder sur un désaccord, que ce soit avec soi-même ou avec les autres.

Car, d’autre part, le long-métrage propose une représentation assez réaliste des comportements humains : incohérents, hésitants, lâches. Si ces traits sont loin d’être à ranger dans la case « positif », ils n’en sont pas moins réels. Conscients ou non, utilisés afin de nuire ou simplement de se protéger, ces faiblesses sont souvent absentes des personnages de cinéma. On les préfère linéaires, stables, car il est plus facile, certains diront nécessaire, de les comprendre ainsi. Les hésitations ne se font qu’entre deux choix qui apportent chacun d’eux du bon et du moins bon. Il n’est pas vraiment question de cela dans Quitter la nuit car il n’y a, ici, pas la volonté de construire des personnages, mais de représenter des personnes. Et si l’on est un peu honnête avec soi-même, on admettra que nul n’est tout à fait cohérent, tout à fait stable, que la fatigue peut nous amener à faire un choix qui n’apportera rien de bon, que parfois, on préfère détruire des preuves plutôt que de ne pas prendre une douche.

Ainsi, le film s’attaque autant au mythe de la victime parfaite, celle qui a tout bien fait et qui se rappelle de tout en tout point, qu’à celui de l’agresseur parfait, le véritable salaud immoral et immonde. Si d’autres lui emboitent le pas, peut-être que l’imaginaire collectif entourant le viol, et plus généralement les violences, changera. Et peut-être qu’un jour on arrêtera d’en vouloir aux gens parce qu’ils ne sont pas, tout le temps, tout à fait cohérents. L’humain, c’est la complexité et celle-ci mérite beaucoup plus de l’attention et de la compréhension qu’un jugement hâtif.