« Plasmas », d’une précision chirurgicale

Titre : Plasmas
Autrice : Céline Minard
Editions : Rivages
Date de parution : 4 octobre 2023
Genre : Imaginaire, Science-Fiction, Nouvelles

Ne peut pas se prétendre bon écrivain de SF qui le souhaite. Il faut pouvoir se travestir, se faire à la fois prédicateur et maître d’une société qui n’existe pas. À ce jeu-là, bien des écrivains ont perdu. Mais pas Céline Minard. Déjà, en choisissant la forme de la nouvelle, elle s’est épargnée l’impératif de la cohérence qui a fait la perte de certaines dystopies futuristes d’aujourd’hui, pastiches du Meilleur des mondes et de 1984. Elle ne propose pas une histoire dont elle serait garante de la crédibilité, mais une série de petits instants flottants dans une cosmologie du futur. Des acrobates se produisent devant une armée de bjorgs désintéressés, venus récolter les données en temps réel de leurs sauts. Une anthropologue dont le travail a été souillé, s’exile dans une communauté d’hommes-singes qui communiquent par gazouillis. Un monde virtuel permet l’abolissement des limites de notre sexualité, en favorisant l’exploration de ses formes animales et végétales. Des enfants techno-performant se révoltent contre ces adultes qui, par inconscience écologique, ont  détruit leur avenir. Étrangement, le futur de Minard s’accompagne d’un intérêt grandissant pour la nature. Dans le monde post-apocalyptique, les hommes apprennent de leurs erreurs et accordent une importance primordiale au frisson de l’air ou à l’empreinte liquide que laisse la rosée sur la feuille.

Mais sa réussite n’est pas qu’une question de format. Il tient surtout à des qualités littéraires dont Plasmas peut se vanter. Tout d’abord la précision. L’ancienne libraire est capable de décrire avec force détails le mouvement centrifuge du ricochet, quand le galet creuse son sillon dans l’eau. Ou le dernier souffle du noyé, le méthane distendant les parois de la bulle jusqu’à son explosion en surface. Les étapes de la mue du papillon qui le mènent du stade larvaire à celui de l’imago n’ont pas de secrets pour elle. Et bientôt, ils n’en ont plus, non plus, pour le lecteur. Mais qui dit description experte, entend rigueur du vocabulaire. Aucun mot ne peut être laissé au hasard. L’espace d’un instant, elle n’est plus écrivaine, mais spécialiste en voltige, en mésopélagie, en lédiptérologie ou encore en cosplay.

Son écriture déjà trop précise pour le commun des mortels se complexifie encore, alors que sa vision du futur se dispense de toute forme d’explication. Elle s’adresse à nous comme elle le ferait aux acteurs du monde futur qu’elle décrit. Le manumérique lunaire nous semble aussi peu évident que ne l’aurait été, pour celui qui vit en 2018, le confinement international dû à l’épidémie de covid 19. La lecture devient très exigeante. Et le plaisir qu’on en tire dépend aussi du fait que ses explorations sont assez brèves, une dizaine ou une vingtaine de pages chacune seulement. Croisement bâtard entre Bachelard, Damasio et Wikipedia, Plasmas modèle de parfaits embryons de récits, forts de leur rhétorique et de leur inventivité.