« Oppenheimer », le poids de la responsabilité

Oppenheimer
de Christopher Nolan
Biopic, Historique, Thriller
Avec Cillian Murphy, Emily Blunt, Matt Damon
Sortie le 19 juillet 2023

Trois ans après la sortie du très discutable Tenet et six ans après celle du magistral Dunkerque, Christopher Nolan revient dans les salles obscures avec Oppenheimer, un très long métrage (3h) retraçant la course à l’armement atomique menée par les Etats-Unis pendant la Seconde Guerre mondiale. 

Robert Oppenheimer, voilà un nom connu de tous comme celui du « père de la bombe atomique ». En effet, c’est de par le talent du physicien américain, mais aussi par l’ingéniosité et le secret de mise autour du Projet Manhattan que la Seconde Guerre mondiale prît fin avec la capitulation du Japon le 2 septembre 1945, soit moins d’un mois après les bombardements atomiques d’Hiroshima et de Nagasaki. Une histoire qui n’a finalement pas souvent été portée à l’écran alors que ses conséquences conditionnent, aujourd’hui encore, l’ordre mondial et les conflits internationaux. La raison de cette rareté est assez simple : il est difficile de narrer la vie d’un scientifique, sans entrer dans une forme de docu-fiction et faire ainsi perdre toute essence dramatique à l’objet cinématographique.

Christopher Nolan, en réalisateur singulier capable de transformer le temps et la perception de nos sens, a choisi de relever le défi. Pour ce faire, il a décidé de replacer l’homme devant le scientifique. Ses conflits intérieurs, ses prises de position politiques et surtout ses amours sont les fils rouges de son histoire. Un choix totalement compréhensible puisqu’il permet de susciter l’interrogation du spectateur sur la responsabilité de l’homme sur sa propre destinée et celle des autres. Ceci est d’autant plus prégnant dans Oppenheimer puisque le succès de la découverte scientifique a très vite laissé la place à une hypothétique fin du monde, au demeurant thématique fétiche du réalisateur britannique. On se retrouve alors confronté aux angoisses, voire aux peurs, du protagoniste principal de l’histoire. On est mal à l’aise dans notre siège et un peu perdu devant des scènes qui s’enchainent de manière frénétique, voire expéditive. C’est normal, c’est voulu !

Et pour cause, Christopher Nolan ne laisse à aucun instant son spectateur souffler. Le cinéaste a choisi de jouer avec le rythme, le temps et l’intensité des scènes à la manière d’une bande annonce. De fait, toutes les scènes et tous les dialogues sont écrits au rythme d’une partie de ping pong, où chaque phrase est méticuleusement pensée pour servir à la fois d’explication et d’argumentaire dramatique. De même, aucune scène n’est longue et aucune caméra ne s’attarde sur l’un ou l’autre élément. Des scènes chimériques, présentant des explosions métaphysiques, entrecoupent elles aussi le narratif pour angoisser davantage le cinéphile. Ce dernier subit le film, subit les scènes et à l’instar de Robert Oppenheimer, n’arrive plus à distinguer l’important de l’accessoire, et se perd dans le temps. L’image IMAX et les sons d’explosions augmentant – s’il le fallait – encore un peu plus le rendu anxiogène du film.

Si l’objectif technique, visuel et dramaturgique est clairement atteint, on ne peut toutefois pas en dire autant du volet politique d’Oppenheimer, qui en est pourtant l’un des thèmes principaux. En effet, le physicien fut, pendant de nombreuses années, l’objet de doutes et de critiques sur ses prises de position et ses fréquentations, en particulier dans le milieu communiste. Une méfiance du congrès américain à son égard, en pleine période du maccarthysme, va même lui valoir le retrait de son habilitation de sécurité, l’éloignant des résultats de recherches qu’il avait lui-même initiées. Tout cela, Christopher Nolan en parle en long et en large dans son récit, mais il le place dans une seconde sphère narrative, à contre-temps de l’épopée scientifique. Certaines scènes, en noir et blanc, contribue à rendre cette partie ex-corpus et donc, presque inintéressante. La lassitude du spectateur s’installe d’ailleurs lors de ces scènes, qui deviennent légion dans les trente dernières minutes de bobines. Dommage et dommageable…

Enfin, côté casting, on notera l’excellent choix de Cillian Murphy dans la peau d’un génie torturé. Son aura d’acteur mystérieux et discret colle à merveille avec celle de cet illustre personnage. Emily Blunt lui rend admirablement la pareille, dans un second rôle féminin mis de bien belle manière en valeur, tout comme celui de Florence Pugh.

En résumé, Oppenheimer s’inscrit dans la même lisibilité que les autres films de son réalisateur. L’ambiance anxiogène qu’il distille tout au long de ses trois heures de bobines rend l’expérience cinématographique très particulière, mais diablement efficace. Toutefois, Oppenheimer n’est ni un film de guerre, ni un film politique. Si la production ne revendique aucunement le premier qualificatif, le second y est bien présent mais traité maladroitement.

A propos Matthieu Matthys 919 Articles
Directeur de publication - responsable cinéma et littérature du Suricate Magazine.