« L’usage du thé », un voyage millénaire et fascinant

Titre : L’usage du thé
Autrice : Lucie Azema
Editions : Flammarion
Date de parution : 12 octobre 2022
Genre : Essai

« Le thé a suivi un parcours ambigu, semé d’épreuves et de manœuvres frauduleuses. Ses errances ont permis de tisser liens entre les époques et les continents, entre les petites et les grandes histoires. C’est ainsi que la route du thé s’est construite au travers et en parallèle des trajectoires particulières des peuples. Elle a traversé des lieux dans lesquels elle a laissé des traces indélébiles- traces qui ont résonné différemment à chaque coin du globe, jusqu’à constituer une multitude de petits îlots. »

Avec L’usage du thé, la journaliste, voyageuse et féministe Lucie Azema retrace méticuleusement le parcours du thé à travers les siècles, explorant ses multiples dimensions. Fusionnant sa passion du voyage avec celle du breuvage, l’autrice nous délivre un ouvrage captivant et érudit. Au cœur de son récit, le thé émerge comme un protagoniste fascinant, tissant des liens entre les voyages épiques et les péripéties qui ont façonné cette boisson, la propulsant parmi les plus prisées à travers le globe.

À l’époque où sa recette était jalousement gardée secrète, le thé s’est pourtant frayé un chemin à travers les quatre coins de la planète, au gré des déplacements de caravanes et des colonisations, entraînant dans son sillage espion·nes et botanistes, poètes et suffragettes, esclaves et cueilleuses.

Connoté comme un breuvage féminin et étroitement entrelacé avec la vie domestique en Europe, le thé s’avère originellement une boisson associée aux vastes horizons des grands extérieurs et à l’aventure. Le tout premier livre de l’autrice, intitulé Les femmes aussi sont du voyage, avait déjà pour ambition de dénoncer une vision masculine de l’aventure, qui tout en projetant des fantasmes exotisants sur des territoires inaccessibles, réduit les femmes à des êtres captifs condamnés à l’attente.

On retrouve dans L’usage du thé ces tensions entre immobilisme et mouvement, sédentarité et nomadisme, partage et réappropriation. L’autrice y développe également la critique d’une vision binaire faisant de l’espace privé le territoire des femmes, tandis que l’espace public serait pour les hommes un terrain de jeu, d’exploration et de conquête. Azema met à mal cette dichotomie en rappelant l’existence d’exploratrices et d’aventurières, et en soulignant l’aspect très situé des stéréotypes genrés associés au thé.

Ce très bel ouvrage, au sens propre comme au figuré, nous guide à travers un périple millénaires, des routes de la soie aux mers du globe, en passant par les questionnements philosophiques qui accompagnent sa consommation. Les photographies de l’autrice émaillent le texte, dont la plume agréable happe à la manière d’un roman ou d’un recueil de contes.

On en apprend plus sur les légendes qui entourent le breuvage et les récits qu’il porte en lui. Des récits qui se mêlent aux différentes cultures qui l’ont adopté comme boisson ou comme plat à part entière. Les multiples agréments qui lui sont attribués deviennent ainsi autant de clés pour comprendre la richesse de son héritage, des feuilles délicatement cueillies aux rituels précis qui accompagnent son infusion. Car si le thé s’est répandu grâce aux voyageureuses, il se consomme pourtant surtout durant les moments d’immobilité et de recentrage.

Un ouvrage qui révèle que, bien au-delà d’une simple boisson, le thé est une invitation à l’exploration, un compagnon de route indéfectible à travers les méandres du temps et de l’histoire…