« Les Eclats », sea, sex and death

Titre : Les Eclats
Auteur : Bret Easton Ellis
Date de parution : 7 mars 2024
Genre : Roman

Il y a toujours un peu de l’écrivain dans l’œuvre. Bret Easton Ellis ne s’en cache pas. Il l’assume peut-être même un peu trop pour quelqu’un qui doit surtout son succès aux personnages d’American Psycho, aussi riches que dédaigneux, voire franchement macabres. Et si l’écrivain ne peut pas se targuer d’une image de marque particulièrement flatteuse, c’est White (2019), son essai en patchwork, entre mémoire et pamphlet condamnatoire de la culture « woke » et de son hystérie, qui a réellement achevé de ternir son image. Mais quand Bret sort Les Éclats, une fiction autobiographique du même acabit que Lunar Park, on se met à ressentir de la sympathie pour l’image de l’adolescent paumé qu’il se construit. Certes, les personnages sont toujours jeunes, sulfureux et avec une consommation de cocaïne qui dans n’importe quel autre milieu serait condamnée. Mais le personnage de Bret en tant que tel ne camoufle pas sa vulnérabilité.

Après une abstinence de treize ans à la fiction et un coming-out, la sortie de son nouveau livre en grand format ne pouvait être qu’ultra-médiatisée. En mars 2023, toute la presse l’attendait au tournant. Et il faut dire qu’elle n’a pas été déçue. La critique est dithyrambique. C’est le livre vers lequel tous ses précédents mènent. Le récit originel où l’on rencontre un jeune Bret entamant, chancelant, son premier manuscrit. Moins que zéro, bien sûr. Il a alors 17 ans. Il vit dans une sorte d’exaltation perpétuelle, de drogues et de fantasmes. Le prestigieux lycée privé de Buckley, en Californie, regorge de jeunes qui, comme lui, habitent des poolhouses, portent des wayfarers et subissent les conséquences d’une cellule familiale dysfonctionnelle, quand elle n’est pas carrément inexistante, avec la désinvolture qui convient à leur âge. Mais leur léthargie adolescente est soudain interrompue par de tragiques accidents. La Californie des années 80 ne se résume pas aux cassettes de Peter Gabriel sur Beverly Glen. La cité des Anges souffre aussi de l’héritage de la famille Manson et de l’apparition des premiers tueurs en série. L’arrivée du Trawler, un pervers aux délires zoophages, coïncide mystérieusement avec celle d’un nouvel élève, Robert Mallory…

Pour Bret Easton Ellis, « un roman est un rêve qui exige d’être écrit exactement comme vous tomberiez amoureux ». En d’autres circonstances, la formule aurait pu paraître pompeuse. Mais ici, elle est annonciatrice. Plus nous nous hasardons dans les 900 pages du format poche, et plus le récit prend des formes hallucinatoires. Quelle que soit la version qu’on décide de croire, il y aura toujours un fou. Mais si tout paraît aussi fantasmatique, nous dit donc l’auteur, c’est peut-être parce que sa source d’inspiration première est l’amour. Les Éclats se cache derrière sa couverture ; le trawler. Le véritable sujet ce n’est pas tant la série de crimes, oh combien morbides, impliquant des animaux de compagnie, mais bien le désespoir d’un jeune garçon qui ne sait comment assumer son homosexualité dans l’Amérique conservatrice des années 80.

Bret Easton Ellis précise que toute ressemblance avec des personnes existantes, si ce n’est lui, est fortuite. Mais, Les Éclats reste une fiction autobiographique. Certaines choses doivent être vraies, mais lesquelles ? Face à l’insolubilité du problème, c’est au lecteur à savoir comment réagir. Impossible de détacher Bret de son créateur Bret Easton Ellis. Même si ce personnage qui écrit Moins que zéro n’en devient pas pour autant réel. Le procédé est ingénieux. Décontenançant. Il prend le contre-pied des classifications littéraires habituelles. Et pourtant, comme un shot, Les Éclats se boit d’une traite. C’est un véritable page turner, mais avec un dispositif intéressant et une bande son vintage dont on peut profiter grâce au QR code à la fin.