Le Lait paternel : un mal générationnel

Scénario : Uli Oesterle
Dessin : Uli Oesterle
Éditeur : Dargaud
Sortie : 22 avril 2022
Genre : Roman graphique

Looser patenté aux cheveux gominés et aux chemises hawaïennes, vendeur de store en porte-à-porte qui conclut la plupart de ses affaires sous la couette, Rufus aspire à être une sorte de Vincent Vega version bavaroise et en plus pacifiste. Ne vous laissez pas berner par ses airs californiens, ce sont bien les rues de Munich qui servent de décor à l’intrigue, présentée comme la capitale européenne du disco et de la fête – on y rencontre même Freddie Mercury. D’ailleurs, le monde de la nuit Rufus Himmelstoos le connaît bien, écumant les tripots où il brûle son salaire jusqu’à l’endettement. Délaissant femme et fils, il achète le pardon du petit au prix d’un jouet que la famille ne peut déjà plus se permettre. Pensé comme un dialogue, l’histoire du père répond à celle du fils. Adulte, Victor Himmelstoss reproduit les erreurs de Rufus, se soustrayant aux obligations familiales, surtout quand il s’agit d’éduquer un adolescent en pleine crise de rébellion. « C’est la faute de mon père » balance Victor en cellule de dégrisement. Ainsi, Le Lait paternel ne se présente pas comme la diabolisation stéréotypée de la figure paternelle, mais plutôt un exemple de vulnérabilité humaine.

Une représentation presque bichromatique

Pour bien marquer comment l’histoire du père et du fils se détache l’une de l’autre tout en se faisant écho, Uli Oesterle s’impose une palette de couleurs restreinte, presque bichromatique, avec une teinte spécifique pour marquer chaque époque. Au beige du passé succède le mauve du présent. Dans le dessin de l’auteur allemand on reconnaît toute l’influence qu’a eu sur son univers le cinéma hollywoodien. Les cadrages sont alambiqués, rendant la ville plus grouillante et la nuit plus effrayante. Les parties de poker se jouent dans une ambiance sombre, riche en contraste, dont le lecteur profite grâce à une vue en plongée.

Un personnage superflu?

Si le bédéiste allemand parvient assez justement à rendre tangible ce qui unit un père et son fils ou, au contraire ce qui les désunit, on comprend moins pourquoi il s’est senti obligé de faire rentrer dans le récit les hypothétiques doutes qu’il rencontre face à sa propre créativité. En faisant de Victor un auteur de bande dessinée, Uli Oesterle essaye-t-il de nous convaincre de l’aspect autobiographique de son récit ? Soit. Mais pourquoi se sent-il obligé de rajouter un espèce de personnage fictif qui nourrit son art et joue un rôle de conseiller comme l’ange gardien qui s’assied sur l’épaule du héros de dessin animé ? Ce sempiternel mécanisme de méta-récit était-il vraiment nécessaire ? Si nous ne l’avons pas découvert dans ce premier ouvrage, peut-être serait-ce le cas dans les prochains albums. Les aventures de Rufus et Victor ne s’arrêtent pas là, puisqu’il reste encore trois tomes à paraître.

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