Lait paternel : du bourbon dans les veines

Scénario : Uli Oesterle
Dessin : Uli Oesterle
Éditeur : Dargaud
Sortie : 02 avril 2024
Genre : Roman graphique

Pas de lait paternel pour Victor. Mais un petit shot, ça réveille. Après tout s’il boit, c’est un peu la faute de Roland, son alcoolique de géniteur qui chopinait à en devenir violent. Ce beatnik qui paradait en minaudant. Sa main, fatiguée d’avoir palpé toutes les poitrines du quartier, finissait sa journée sur la joue de sa compagne. Et puis, il a disparu. Envolé. Pauvre fils. Quelles que soient ses faiblesses, il sera toujours victime. Immunisé contre la responsabilité. Du moins, c’est sur cette impression simpliste que nous avait laissée Uli Oesterle.

Mais gare aux jugements trop hâtifs. Le tome deux est une renaissance. Un zombie dans des loques hippies arpente le cimetière, comme s’il venait d’être exhumé de son caveau. Est-ce sa guenille ou son teint blafard qui a fait fuir le couple qui s’envoyait en l’air dans la maison des morts ? Qu’importe, il est temps pour lui de rattraper ses erreurs. Roland, le baiseur invétéré, doit se racheter. « Faire tomber une assiette, c’est une chose. Mais ne pas ramasser les morceaux, c’en est une autre… Ça manque d’élégance ». Pas facile. Il faut dire que l’assiette de Roland est sacrément fissurée. Il a échappé à la mort. Mais la famille dans la voiture d’en face n’a pas eu cette chance. Il n’aurait pas dû tant boire. Roland ne peut plus rentrer au bercail, sa honte est trop grande. Mais en ne chatouillant plus la bouteille, il pourrait espérer devenir un homme meilleur. Et qui sait ; s’occuper des siens à distance.

D’un coup, la donne change. Le combat de Roland rend l’alcoolisme et l’irascibilité de Victor bien moins excusable. La victime devient bourreau et le bourreau, une sorte de figure angélique dévouée aux autres. Dans le premier tome, tout ce qui faisait la force du récit – son graphisme hollywoodien, son choix réduit de palette, son écriture particulièrement soignée pour une bande dessinée et ses ambiances so seventies – ne contrebalançait pas toujours son côté cliché. Le personnage de Victor, l’artiste en proie aux doutes, était loin d’être révolutionnaire. Il était même irritant. Mais maintenant, Victor n’est plus simplement celui à qui l’on donne le droit de se lamenter. Il mue. Se transforme enfin en un personnage, complexe. Le tout dans un second album qui conserve les qualités du premier.