« La passion de Victor Paléon » ne passionne pas, et c’est bien dommage

Création collectiveMise en scène de Lionel Lesire. Avec Marie-Noëlle Hébrant, Geoffrey Seron, Sébastien Hébrant. Du 13 au 29 mars 2024 aux Riches-Claires.

Un garçon en camp de vacances. Le responsable, un homme d’Église lui propose de le ramener, lui évitant ainsi le vacarme du bus et des autres enfants. Enfin seuls dans une chambre d’hôtel, le curé viole le garçon. De cette enfance traumatisée jusqu’à l’âge d’adulte, nous suivons Victor, miné par le silence qu’une figure autoritaire lui a inconsciemment imposé.

Tout le monde s’accordera à dire que le sujet est des plus importants. À l’heure du hashtag MeeToo et de ses différentes variations (#MeeTooAnimation, #balancetonbar,…), il est nécessaire de diffuser le message de cette parole qui se libère dans toutes les sphères de la société. L’Église, déjà théâtre de nombreux scandales, fait, évidemment, partie de ces espaces où la norme ne peut plus rester en l’état. De par sa volonté, de par son thème, La passion de Victor Paléon est une pièce importante. Cependant, une pièce de théâtre, ce n’est pas qu’une note d’intention.

Peut-être est-il question d’ambitions, car, en effet, raconter toute la vie d’un homme depuis son enfance jusqu’à ses 40/50 ans en 1h10 sur une scène, c’est ambitieux. Il en résulte, de manière malheureuse, mais prévisible, une suite de séquences génériques : une crise d’adolescence violente, le semblant d’une vie de foyer heureuse puis les affres d’une épiphanie qui amène le bouleversement de tous les aspects du quotidien de Victor. Il faut aller vite pour pouvoir tout raconter, alors, on utilise des motifs connus, des standards peu subtils. Ces standards se retrouvent donc autant dans les situations que dans les personnages qui les font vivre. Savoir lequel est responsable duquel, ça, c’est la question de l’œuf ou de la poule. Le résultat est, de toute façon, le même : il n’y a rien de surprenant, rien de didactique non plus. En nous donnant la clef dès le départ (« Je me suis fait violer par un prêtre quand j’étais enfant, et je n’en est jamais parlé jusqu’à aujourd’hui »), on ne peut que s’attendre à une narration en deux temps : le déni puis le chaos.

Cependant, est-ce vraiment le format qui n’est pas adapté à ce type de narration ? Est-ce que, par exemple, une série de plusieurs épisodes, une histoire, donc, qui dure plusieurs heures, pourrait répondre aux problèmes rencontrés ici ? Oui et non. Oui, car un format plus long éviterait le principal écueil de la pièce, celui de la superficialité. En devant aller au plus vite, on ne fait qu’effleurer tous et tout. Les personnages ne sont pas vraiment incarnés puisqu’ils ne sont que les vecteurs d’une intention prenant corps dans un nœud dramatique restreint, ou plus simplement, ils ne sont que des prétextes à l’avancée de l’histoire. Rallonger la narration permettrait, donc, de creuser cette myriade de personnages qui entourent Victor Paléon, d’aller chercher des relations plus profondes. Et non, car le cœur du problème resterait tout de même là : tout est attendu. Déni puis chaos, la durée ne change pas l’articulation de la narration.

Le souci se situe donc dans les choix narratifs. Pourquoi tout montrer ? Pourquoi ne pas s’intéresser à un moment précis ? Le viol, l’épiphanie, la bataille « judiciaire » sont autant d’histoires dans l’histoire qui pourraient être la totalité du corps de la pièce, qui, en tout cas, mériteraient d’être mieux traitées. Car à vouloir tout dire, on finit par ne rien raconter. De cette volonté d’exhaustivité nait l’absence de discours. Or, le discours est l’intention première d’un projet qui milite pour la libération de la parole. L’utile est rendu inefficace.