« La vie de ma mère », au cœur d’un dialogue intérieur cash et grinçant

Titre : La vie de ma mère
Auteur : Magyd Cherfi
Editions : Actes Sud
Date de parution : 3 janvier 2024
Genre : Roman

Dans La vie de ma mère, Magyd Cherfi nous embarque dans le dialogue intérieur d’un cinquantenaire pour le moins tourmenté. Il y est surtout question, comme le titre de l’ouvrage l’indique, de la relation que le narrateur a entretenue avec sa mère depuis son enfance jusqu’au moment de l’écriture, et des turbulences qu’elle a connues. Au moment du déclin de la santé de ladite mère, il restitue des épisodes de vie avec elle, ses frères et sœurs, tout comme avec ses fils. Dans ce contexte, nous nous retrouvons au centre d’une constellation familiale. Comme toute constellation familiale qui se respecte, elle présente son lot de névroses.

Le narrateur est lucide sur ses propres contradictions et sur celles des autres, qu’il sait décrire avec humour et autodérision. Il révèle les multiples identités et loyautés qu’il porte, ainsi que tout le panel de performances qui peuvent en découler.

L’air de rien, l’analyse est fine en matière de rapports de classe, de genre ou de racialisation. Le narrateur part de son propre point de vue situé pour explorer, par exemple, son rapport à sa masculinité ou encore le racisme intériorisé dont il peut être porteur. Magyd Cherfi s’attaque aussi à certains tabous, comme l’amour-haine qui peut caractériser les liens filiaux ou encore la mésentente voire même la perte des liens au sein d’une fratrie.

L’ouvrage présente aussi l’originalité de donner à voir la réalité de la vieillesse par un angle tout à fait physique et matériel : les douleurs, les rendez-vous médicaux, les séjours à l’hôpital, etc. Il parvient aussi à analyser le sujet dans une perspective féministe, en décrivant l’usure du corps de la mère qui a connu plusieurs maternités, fait face à de la violence conjugale et consacré une vie entière à un travail domestique non rémunéré.

Le langage est souvent cru, sans détour. Cela n’empêche pas une certaine poétique. Les passages consacrés au plaisir de cuisiner sont d’ailleurs très sensoriels.

Finalement dans La vie de ma mère, la sagesse côtoie l’immaturité, l’homme devenu adulte cohabite encore avec l’enfant. Magyd Cherfi raconte l’histoire d’un garçon qui se fait vieux et qui a des comptes à régler avec sa mère. Il partage sans filtres sa volonté, et même son besoin, de trouver une langue commune avec elle.