« La fabrique des pervers », regard sur une dynastie sadique

Titre : La fabrique des pervers
Autrice : Sophie Chauveau
Editions : Folio
Date de parution : 6 mai 2021
Genre : témoignage

Sorti en 2016, La fabrique des pervers connaît un regain d’intérêt depuis que Camille Koushner, l’auteure du controversé La Familia grande, l’a mentionné comme livre de référence dans l’interview qu’elle donnait à la Grande Librairie. Sophie Chauveau n’aurait pas pu rêver meilleure presse – même si ce n’est pas la célébrité qui l’intéresse – pour son ouvrage que Gallimard décide enfin de sortir en format poche, cinq ans après sa première parution.

Effectivement, le parallèle entre les deux livres est évident, puisque la démarche qu’entreprend Koushner dans La Familia grande, Sophie Chauveau l’a entreprise avant elle dans La fabrique des pervers. Plus que le sujet c’est la volonté qui unit les deux auteures. Chauveau comme Koushner dénoncent à l’écrit les pratiques incestueuses dont elles ont été victimes, enfants. Dans les deux cas, on retrouve le besoin de libérer la parole et la volonté d’informer dans des ouvrages qui sont rédigés pour aider à la fois l’auteure et le lecteur.  Le sujet est compliqué, d’autant plus qu’il condamne des actes perpétrés dans des sphères élevées de la société – on rappelle que Koushner a été victime d’abus par la personne de son beau-père qui n’est autre que le politologue Olivier Duhamel.

À  l’origine de cet ouvrage que Chauveau mettra trente ans à écrire, il y a cette lettre dans laquelle une cousine éloignée témoigne des abus sexuels dont elle a été victime dans son enfance. Chauveau se rend alors compte que plus qu’un problème personnel, c’est une déviance qui gangrène toute sa famille. Plongée dans sa propre histoire, elle remonte le fil jusqu’à essayer de comprendre – puisqu’on ne comprend jamais vraiment les raisons qui poussent des adultes à infliger de telles souffrances aux enfants qu’ils aiment – comment une dynastie de pervers a pu agir dans l’ombre, chacun endossant d’abord le rôle de victime et ensuite celui de bourreau.

Divisés en chapitre liés au traumatisme de l’auteure, La fabrique des pervers s’ouvre naturellement sur la genèse du problème. En 1870, un homme malin profite de la détresse des communards pour s’enrichir et, de sa soif de pouvoir, naissent des comportements déviants qui le confortent dans son rôle de mâle dominant. Comme le reste du texte, le premier chapitre est écrit avec une pointe de cynisme et dans un français plutôt soutenu, presque balzacien. D’ailleurs, l’écriture serait agréable si le sujet ne l’était pas si peu. Puisque le livre est aussi pensé dans un but thérapeutique, le risque d’oublier qu’il est avant tout question d’informer le lecteur est grand – sinon autant écrire un journal intime après tout.  Et quand il est autant question du « moi » de l’auteure, le recul est difficile à prendre et l’intérêt du lecteur difficile à gagner. Mais Chauveau parvient à nous accrocher par la force de sa plume.

Du moins c’est ce qu’on se dit au début. Parce qu’après deux cents pages, le sujet se perd un peu et on sent que Chauveau peine à faire la différence entre ce qui est nécessaire pour le lecteur et ce qui l’est pour elle. La très grande quantité de personnages aux liens de filiations compliqués et aux prénoms semblables n’aidant pas, le lecteur a parfois l’impression que Chauveau ne s’adresse pas à lui mais écrit avant tout pour régler ses comptes. Même si la manière d’aborder le sujet manque parfois de recul – recul qu’il est probablement très difficile à avoir – il est véritablement important qu’un tel ouvrage soit mis en valeur, surtout quand on sait que deux millions de Français sont encore victimes d’actes incestueux et que peu d’entre eux parviennent à en parler.