Interview de Sofie Kokaj pour Mange ta glace !

Après la retentissante première de Mange ta glace  !, nous avons eu la chance de rencontrer sa metteur en scène. Passionnée de littérature, de philosophie, de cinéma et initialement danseuse, Sofie Kokaj nous a parlé de son spectacle, de liberté, d’amitié et d’iroquois.

Vous venez du monde de la danse et on ressent clairement le travail sur les corps. Avez-vous dirigé comme une chorégraphe ou comme une metteur en scène au sens le plus classique  ?

La danse c’est pour moi l’enfance. La légèreté. Un jeu possible avec celui ou celle qui ne parle pas notre langue. Toujours et partout. C’est l’universalité potentielle. De mes expériences auprès des chorégraphes, en particulier auprès de Pierre Droulers, j’ai surtout appris la nécessité de concevoir un spectacle comme un tout, comme un souffle. Mais je suis metteur en scène. Et je ne conçois pas de spectacle, en particulier de création, sans dramaturgie.

Est-ce que vous avez eu ce travail sur le corps en tête au moment de choisir les comédiens  ?

Non, je travaille avec les personnes, pas les corps. Je me méfie très fort de la projection que l’on peut avoir sur un acteur (ou sur n’importe quel être humain en général). Ce sont le corps et les convictions d’un acteur qui font son intégrité, et sa beauté. A partir de là, on peut commencer à peindre.

Vous avez énormément de références parmi des artistes qui ont révolutionné le langage artistique. Que reste-t-il aujourd’hui de ces pionniers et en particulier dans votre pièce  ?

L’amour de la liberté. L’impossibilité de travailler sans amitié. L’importance de s’inscrire dans son époque, d’y faire écho. Amplifier le réel.

« Peindre le monde sur soi, et pas soi sur le monde », comme a dit le philosophe Gilles Deleuze.

Ginsberg, Godard, Cassavetes, Pasolini et vous éclatez complètement le cadre classique de l’art que ce soit par le langage ou autre. Que reste-t-il de l’expression artistique après tout ça  ?

Il n’y a pas d’artiste qui ne se confronte aux cadre artistiques qui le précèdent. Ce que l’artiste veut, comme le médecin, c’est faire durer le monde. Il ne peut pour cela se passer d’histoire, de mémoire, donc dans une certaine mesure de traditions. Mais certaines traditions au fur et à mesure de leur répétition se révèlent inutiles à la « nouvelle réalité ». Il ne s’agit pas de casser le passé, mais au contraire de tordre les cadres ou les formes, pour continuer à faire voir la vie, et à rester vivants nous-mêmes.

Donc je dirais que ce qui reste de chacun de ces artistes, c’est « une explosion sur un sol réel ». Une explosion ce n’est pas nécessairement terroriste. Je pense au contraire aujourd’hui que l’explosion du réel par l’art, ne peut-être entreprise qu’avec beaucoup d’amour et d’humilité. Et aussi avec une immense reconnaissance pour les artistes politiques que vous citez. Et leurs magnifiques sens de l’humour, car au-delà d’êtres des « inventeurs », ce sont aussi des « farceurs cosmiques ».

Mange ta glace  ! a, semble-t-il, énormément évolué lors de son processus de création. Qu’est ce qui a changé dans le travail avec les comédiens  ? A quoi correspond le résultat final  ?

Rien, ou pas grand-chose, n’a lieu d’être anticipé pour un travail de création, sinon l’éthique de travail elle -même. Donc l’étude constante. Donc la remise en question et en ouvrage permanente. Et l’importance de se mettre d’accord.

La chance du théâtre, de l’art vivant en général, c’est l’autre, la façon dont l’autre va nous remettre en mouvement. Quelles qu’aient pu être les préparations en amont de ce spectacle, rien de ce qui se trouve maintenant sur le plateau ne pouvait être absolument anticipé. Ce spectacle appartient à ceux qui l’ont créé, ensemble.

Le résultat final peut se référer à la première phrase énoncée dans Mange ta glace  ! « Je préfère peindre un chewing-gum de près que Versailles de loin. » Nous l’énonçons comme une blague, mais il s’agit bien de cela : regarder le vivant de près, plutôt que de fantasmer quoi que ce soit de loin. Se réaliser dans l’expérience, dans laquelle on inclut le public,  plutôt que de démontrer quelque chose ou de flatter le public par une posture quelconque.

Quels projets pour la suite ?

J’aimerais beaucoup continuer avec les mêmes personnes. Il y a dans Mange ta glace  !, deux « principes » que j’aimerais approfondir : «  La Mouette  » de Tchekhov, qui énonce si joliment et justement un clash entre formes anciennes et nouvelles, d’autre part, le travail « expérimental » sur la langue :  j’aimerais continuer à travailler cela à partir du texte « Bad Boy Nietzsche » de Richard Foreman auteur et metteur en scène New Yorkais. Enfin, je voudrais  monter en entier le texte «  Howl  » d’Allen Ginsberg. Je ne sais pas encore dans quelle langue. Peut-être l’iroquois. Ou le jamaïcain.

Ne manquez pas Mange ta glace  ! au Théâtre Les Tanneurs jusqu’au 26 avril 2014.
Lire la critique en cliquant ici !

A propos Mathieu Pereira 121 Articles
Journaliste

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