Les Galeries Royales Saint-Hubert fêtent leurs 175 ans

A l’occasion de cet anniversaire, la Société des Galeries Royales Saint-Hubert propose une exposition au Cinéma Galeries retraçant l’histoire du lieu depuis les années 1830. Une invitation à (re)découvrir les multiples activités – commerciales et théâtrales mais aussi artistiques, culturelles et sportives – qui insufflent quotidiennement la vie à cet emblème architectural bruxellois depuis près de deux siècles, même si certaines omissions et imprécisions ternissent l’expérience.

Une mise en abyme scénographique

Les visiteurs sont conviés dans les passages souterrains de la Galerie de la Reine, accessibles par le cinéma. Exposer l’histoire des Galeries dans « les galeries des Galeries », c’est donner rendez-vous physiquement avec les soubassements du projet, métaphoriquement avec l’histoire de ses origines. Construites en briques, basses de plafond, les galeries voûtées du cinéma offrent un écrin charmant et authentique à l’exposition, et le scénographe Louis Luyten a su en tirer parti. « C’est un lieu contraignant pour un projet d’exposition, mais c’est un lieu chargé d’histoire. Il fallait le valoriser, le magnifier », explique-t-il. Ces longs couloirs font naturellement écho à la forme des Galeries, ce qui a permis de rendre plus aisément l’esprit qui y règne. Les arcades, la perspective et les niches sont ainsi suggérées.

Vue de la deuxième partie de l’exposition Photo : Léa Rangé

Lieu d’effervescence intellectuelle et vitrine de l’industrie belge

Le parcours chronologique de l’exposition, scindée en trois chapitres – Le projet (1837-1847) ; Une ville dans la ville (1847-1986) ; Le rayonnement international (depuis 1986) -, installe crescendo le bouillonnement commercial et culturel des Galeries. Dans le jeune État belge des années 1840, après dix années de travaux, le projet des Galeries voit le jour sous les yeux ébahis des Bruxellois en quête de symboles fédérateurs : « Au travail, au commerce, aux arts, à l’industrie, / Bruxelle(s) a dédié sa belle galerie. / Que d’éléments divers à sa prospérité / Concourent à la fois, au sein de la cité ! » Ces vers déclamés à l’inauguration du Théâtre des Galeries Saint-Hubert le 19 juin 1847 semblent encore d’actualité et résonnent tout au long du parcours. Le Théâtre du Vaudeville, le Café de la Renaissance, la chocolaterie Neuhaus, la librairie Tropismes et d’autres boutiques, cafés et lieux culturels se sont installés (momentanément parfois) aux Galeries au fil du temps, ainsi que des habitants et des professionnels venus occuper les appartements et locaux surmontant les vitrines du rez-de-chaussée. Ces dernières offrent un étalage raffiné de produits belges aux passants. Là se trouve l’objectif principal de l’exposition : montrer et faire ressentir ces flux et ce foisonnement aux visiteurs.

Derrière les devantures, la part belle aux anecdotes

Dans la deuxième partie, les personnalités qui ont contribué à façonner la notoriété des galeries nous ouvrent les portes de l’arrière-boutique. Nous y croisons beaucoup de Français, mais aussi des Belges ! Victor Hugo et sa maîtresse Juliette Drouet, Paul Verlaine venu acheter le pistolet avec lequel il tente d’assassiner Arthur Rimbaud, Bourvil jouant dans La Bonne Planque donnée sur les planches du Vaudeville, et Magritte imaginant un décor pour le plafond du Théâtre Royal. Il y a également les historiettes et les clins d’œil. Face à la projection de L’Arroseur arrosé, nous apprenons que s’est tenue dans la Galerie du Roi la première séance publique en Belgique du cinématographe Lumière le 1er mars 1896, et plus loin dans l’exposition, les galeries passent de l’autre côté de la caméra. Elles offrent un décor de cinéma majestueux, notamment pour la traversée d’Alicia Vikander et Matthias Schoenaerts dans The Danish Girl.

Vue de la deuxième partie de l’exposition Photo : Léa Rangé

De la petite à la grande Histoire

Au-delà des anecdotes, l’exposition inscrit l’apparition des galeries dans un contexte plus global, bruxellois, national puis européen. D’abord à l’échelle de Bruxelles, elles répondent à un projet d’urbanisme : relier le quartier de la Monnaie au quartier de la Grand-Place, remédier à l’insalubrité du centre-ville, et de surcroît l’embellir. Ensuite, à l’échelle de la Belgique, elles sont déclarées d’utilité publique par Léopold Ier dans les années 1840 et contribuent à forger l’identité nationale encore embryonnaire. Enfin, en Europe, les passages couverts connaissent un véritable essor dans les grandes villes à partir de l’apparition du premier du genre en 1786 au Palais Royal à Paris. Avant les Galeries Saint-Hubert, le Passage Pommeraye à Nantes est inauguré en 1843, et plus tard, en 1878 à Milan, la Galleria Vittorio Emanuele II (prenant pour modèle celles de Bruxelles) ouvre au public. En 2019, l’association EuroArcades est fondée afin de fédérer ces passages autour d’une ambition commune : préserver et valoriser ce patrimoine européen, notamment à travers son inscription sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO. En introduction de l’exposition, une grande frise chronologique pose les jalons de cette histoire bicentenaire.

Grande frise introductive
Photo : Léa Rangé

Une faible ode au créateur et à son œuvre

Nous devons les galeries, son parapluie de verre (qui culmine à 19m) et ses célèbres girandoles à Jean-Pierre Cluysenaar (1811-1880). Malheureusement, l’exposition passe un peu vite sur la carrière de l’architecte et sur les Galeries comme œuvre d’art. La structure novatrice est certes évoquée, mais on ne nous parle pas assez du style. Le terme « éclectisme » n’est pas mentionné dans la description. Deux influences (Renaissance italienne, néoclassicisme) sont certes citées, mais nullement développées. Péristyle, baies serliennes, arcades, ordres des chapiteaux, pilastres, corniche, fronton… le vocabulaire architectural adéquat pour décrire ce haut lieu patrimonial n’apparait pas. De la même manière, le commentaire consacré au programme sculpté de Joseph Jaquet – fait de rondes bosses, de bustes et de bas-reliefs – et à son iconographie est trop succinct.

Les objets témoins

De nombreux documents d’archives (plans, dessins, arrêtés, lettres, cartes, photographies…) viennent appuyer le propos de l’exposition. Là encore, les cartels sont approximatifs. Plusieurs dates manquent, ainsi que la mention des techniques, et il n’y a pas de distinction entre un original, une reproduction et un fac-similé (le projet de décoration du plafond de la salle du Théâtre Royal des Galeries réalisé par Magritte en 1951 exposé en est un). Quelques merveilles cependant, comme la vue perspective des Galeries signée par A. Lesueur et Cluysenaar en 1838. Autre réjouissance : les rares objets présentés dans les vitrines, ces « choses » qui par leur fonction et leur vécu sont empreintes de significations. Par ailleurs, elles sont actuellement célébrées dans une magnifique exposition au Musée du Louvre à Paris (Les Choses. Une histoire de la nature morte, jusqu’au 23 janvier). Le moule à pralines de la collection Neuhaus et le calibre pour gant de la Ganterie Italienne exposés ici sont autant de « signes vivants pleins de pouvoirs, de charme et de sens, doués pour faire imaginer, penser, (…) se rappeler » (Laurence Bertrand Dorléac).

Vue de la dernière partie de l’exposition
Photo : Léa Rangé

Un XXe siècle malmené

Les bornes chronologiques de la deuxième partie sont ambitieuses : 1847-1986, soit presque un siècle et demi à traiter dans une petite salle. L’avantage est donc donné à la seconde moitié du XIXe siècle, jusqu’à quasiment éluder les 80 premières années du siècle suivant (une volonté d’occulter les années moins glorieuses ?) et on arrive soudainement dans la troisième partie, en 1986, date du classement des Galeries Royales au titre de monument par arrêté royal. Cette troisième et dernière section est également bancale : des photos disposées à la manière d’un moodboard, sans légende ni explication, pour témoigner des rénovations et faire honneur aux initiatives et évènements qui animent les Galeries. Encore une fois, c’est un survol un peu brouillon, et on regrette qu’aucun des acteurs évoqués (habitant, gérant de boutique, restaurateur, artiste…) n’ait été convié à livrer son témoignage. A noter cependant, un petit joyau sculpté : le bas-relief en terre cuite de Paul Day, fragment de la frise La Comédie Urbaine commandée par les Galeries en 1999.

Conclusion : une exposition inégale, avec des oublis dérangeants, mais qui réjouira les amateurs d’anecdotes et du XIXe siècle.

Fragment de la frise La Comédie Urbaine, Paul Day, terre cuite, 1999 Photo : Léa Rangé

Infos pratiques

  • Où ? Cinema Galeries – 26 Galerie de la Reine, 1000 Bruxelles
  •  Quand ? Du 15 décembre 2022 au 30 juin 2023, tous les jours de 14h à 20h
  • Combien ? Gratuit