Flesh aux Tanneurs jusqu’au 26 février

© Hubert Amiel

De la compagnie Still Life, conception et mise en scène de Sophie Linsmaux et Aurelio Mergola, avec Muriel Legrand, Sophie Linsmaux, Aurelio Mergola, Jonas Wertz. Du 15 au 26 février 2022 au Théâtre des Tanneurs.

Cette pièce de théâtre présente des tableaux humains en prenant la chair comme leitmotiv : codes moraux et canons esthétiques perturbent la communication, d’ailleurs absente.  La gestuelle et l’expressivité des acteurs permettent de dresser un panorama éclectique de situations aux scripts peu conventionnels.

 Gestes barrière et gestes clownesques marquent le début, puisque c’est sur un comique de répétition ultra-hygiénique que démarre le premier acte, avec l‘application de gels hydro alcooliques, produit phare des deux dernières années. On entre dans le vif du sujet et de sa relation au corps : l’homme fait subir à son enveloppe charnelle des contraintes dont il est seul créateur. Les protagonistes seront tour à tour empêtrés dans leurs rapports à la chair dans un élan tragi-comique. Pas de jugements moraux, cependant, sur les thèmes abordés : normes sanitaires, chirurgie esthétique, réalité virtuelle ou cérémonies funéraires sont les thématiques qui guident le scénario. La note cynique ne tend qu’à rendre les personnages plus humains, car soumis à des aspirations communes à chacun. L’artificialité des décors aseptisés, permet de souligner comment nous associons sphère de surface et sphère émotionnelle.

L’habillage tient une place centrale : dès la première scène on enfile une combinaison chirurgicale, dans la scène d’amour en lunette virtuelle la protagoniste se change en femme fatale avant de revêtir, à la fin, son habit de femme urbaine pour retrouver un quotidien sans doute banal mais réel. Il y a donc une mise en abîme des costumes : ceux que les acteurs et ceux que leur double fictif enfile le temps d’une scène. Cette seconde peau est la seule barrière entre eux et leur enveloppe charnelle, les protégeant d’une réalité trop crue, celle du bas du corps, nous ramenant à notre condition animale. La parure signe notre condition civilisée et permet de glisser dans un rôle qui souligne la fonction sociale de théâtre. Le parcours des acteurs est accidenté par des schémas sociaux créent une rythmique dramaturgique : jamais seuls, leur rapport à l’autre est gouverné par des codes esthétiques auxquels nul n’échappe.

À chaque début d’acte, les protagonistes semblent en proie à une attente nerveuse qui participe à la tension progressive. C’est finalement lorsque que leur condition humaine les rappelle à la réalité qu’ils paraissent le plus en phase avec leurs semblables : une sonnerie vient casser la distance respectueuse entre vivant et mort en esquissant une Pieta contemporaine dans l’acte I, l’échec de la chirurgie faciale éteint le désir, mais amorce un sentiment d’empathie criante à l’acte II, dans l’acte III la gameuse et son hôte ne se font face que lors d’un dernier regard après avoir partagé malgré eux une intimité à la fois charnelle et virtuelle, à l’acte III, la rupture inattendue de la poche d’eau réunit les membres de la famille à l’acte I. La panique émotionnelle permet de connecter ces êtres de chair et de sang. Une tension tactile anime les personnages et contamine le public, les objets scéniques (smartphone, masque ou cendre) semblent à la fois brûlants et attractifs. Les plaisirs de la chair sont pourtant exclus, comme ceux de la table : soupe cadavérique et champagne sans bulle sont au menu offrant peu de place à la gourmandise.

La dimension burlesque est contrebalancée par la justesse d’interprétation des acteurs, les rires sont nerveux, gênés, et ne s’harmonisent pas avec ceux du spectateur, spontanés. Une satire contemporaine avec un goût de Black Mirror théâtral. Des éléments réfléchissants traversent la dramaturgue : smartphone, miroir égotique et lunette virtuelle viennent s’infiltrer dans la narration. Une sensation d’étrangeté morbide se dépose sur le script, car la mort et la déliquescence corporelle qu’elle induit, est omniprésente et vient troubler la pulsion de vie des personnages. Pourtant, c’est sur une note joyeuse d’union, façon radeau de la méduse clownesque, que le rideau final se ferme.. En nous propulsant d’une chambre d’hôpital à une Virtual room, les 1h15 de spectacle de Still Life tanguent entre malice et tragédie. Une réussite qui tient l’œil du spectateur captif malgré l’absence de dialogue. Mimésis d’événements tragiques et vaudeville moderne, la théâtralité trouve un juste équilibre bien résumé par le titre Flesh, dystopie attendrissante.