« L’Heure des spécialistes » ou la banalité du Mal

Titre : L’Heure des spécialistes
Autrice : Barbara Zoeke
Editions : 10/18
Date de parution : 21 octobre 2021
Genre : Roman historique

Encore un roman sur la Deuxième Guerre mondiale ? D’autant plus qu’aborder cette sombre période historique par le biais de l’Aktion T4 est très casse-gueule pour une fiction. Et pourtant, le choix de Barbara Zoeke s’avère extrêmement judicieux.

Mais pour commencer, c’est quoi l’Aktion T4 ? C’est « tout simplement » une grande opération qui a été menée par les nazis pour éliminer toutes les personnes inaptes au travail. Entendez par là toutes les personnes handicapées physiques et mentales ainsi que les personnes atteintes de maladies incurables. Leur but était d’éliminer les gènes qu’ils qualifiaient d’inférieurs pour ne garder que la crème de la crème : la race pure.

Pour aborder cette thématique délicate, l’autrice allemande a ancré son récit à Berlin au tout début de la Guerre et a choisi un fil narratif axé sur deux personnages principaux : Max, un professeur séjournant au sanatorium de Wittenau du fait de sa maladie de Huntington et Friedel, un jeune médecin-chef.

En nous racontant l’histoire de Max, de sa famille, de leurs projets et de l’inexorable aggravation de sa maladie, l’autrice ré-humanise des personnes qui n’étaient considérées par le Troisième Reich que comme des quotas, des choses inutiles sur lesquelles on peignait des croix comme celles apposées sur les arbres que l’on s’apprête à abattre.

Cette dose d’humanité est bien nécessaire pour contrebalancer les passages difficiles dans lesquels les médecins qui ont prêté allégeance au régime nazi appliquent et améliorent des protocoles pour rentabiliser au maximum les tueries de masse notamment au moyen de douches funèbres et de régimes alimentaires peu caloriques pour accélérer les décès. Cette mentalité dénuée d’affect n’est pas sans rappeler le percutant La Mort est mon métier de Robert Merle.

Malgré un dénouement logiquement attendu, Barbara Zoeke parvient à nous surprendre grâce à la narration qui nous fait prendre des détours. De plus, elle s’est solidement documentée et a même pensé à vous en incluant un glossaire (très!) complet en fin d’ouvrage pour ne pas que vous soyez perdus dans cette pléthore de noms germaniques, d’épisodes historiques ou de notions médicales. Mentionnons également – chauvins que nous sommes – que la traduction a été réalisée par notre compatriote Diane Meur, romancière de talent.

Si vous avez le cran de plonger dans ce monde de petits fonctionnaires de la mort qui réclament des primes pour « travailler » les jours fériés et planifient des fêtes de service avec les collègues des chambres à gaz, nous vous recommandons fortement la lecture de L’Heure des spécialistes. Un roman dur et cependant indispensable, qui réussit brillamment à nous garder éveillés, dans le bon sens du terme.