BRIFF 2019 : De l’Afghanistan au Laos en passant par la Lituanie, l’Allemagne et le Cambodge

The Orphanage – Shahrbanoo Sadat : Rêves bollywoodiens

Présenté dans le cadre de la Compétition Internationale du BRIFF, The Orphanage (Parwareshgah) s’inspire des souvenirs d’enfance retranscrits par Qodratollah Qadiri dans son journal intime, non publié. Qodratollah Qadiri est également acteur dans le film, où il interprète le rôle de l’éducateur de l’orphelinat. Lui-même et la réalisatrice, Sharbanoo Sadat, avaient déjà collaboré sur un précédent film, Wolf and Sheep, en 2016.

L’histoire prend place en Afghanistan à la fin des années 1980, lors de la Guerre d’Afghanistan opposant les moudjahidines au régime communiste, dans un orphelinat soviétique. Le jeune Qodra est passionné de cinéma, et plus particulièrement de Bollywood. Il imagine donc sa vie sous forme de séquences musicales, en s’inspirant de ses films favoris.

Ainsi, le film mélange les genres, passant des drames de la « vie réelle » à des scènes musicales rêvées et donc plus légères, inventées par Qodra lors de périodes compliquées ou de grands bouleversements auxquels il doit faire face (perte d’un être cher, maladie…). Ces séquences dansées, chantées et colorées, octroient une certaine « fraîcheur » à l’ensemble du film. Cependant, les coupures qu’elles opèrent entre les différentes scènes de la vie réelle ne sont pas toujours très claires. En effet, les évènements et les relations de causes à effets paraissent manquer de lien et l’on ne comprend malheureusement pas toujours la teneur des implications et conséquences de moments qui semblent pourtant cruciaux dans la vie des personnages. Finalement, les différents épisodes de vie retranscrits ici sont un peu comme des souvenirs, forcément épars, que l’on imagine rassemblés dans le journal du « vrai » Qodra.

Animus Animalis – Aistė Žegulytė : Esprits de Paille

Seul documentaire présenté dans le cadre de la sélection Directors’ Week du festival, Animus Animalis (sous-titré « A story About Animals, People and Things ») nous vient de Lituanie. La réalisatrice donne à voir, dans ce premier long-métrage, un mélange assez improbable, mais particulièrement intrigant, entre la taxidermie, la chasse, un musée d’histoire naturelle, l’humanité et les animaux, tout en poursuivant le but d’interroger notre rapport au vivant (et par conséquent, à la mort).

Dépourvu de tout commentaire explicatif, le film se contente de montrer directement des « morceaux » de vie des personnages ou des images d’animaux (vivants ou morts) juxtaposées. La réalisatrice effectue, en outre, un important travail sur la photographie, parfois avec une apparente volonté contemplative. Cette attention minutieuse portée à l’esthétique du métrage permet, par ailleurs, de réellement jouer avec les spectateurs sur les notions de « vie » et de « mort », et entre le mouvement et l’immobilisme.

Tout en ambivalence et dressant de nombreuses oppositions, à la fois étrange, fascinant et parfois même repoussant (l’on ne nous épargne pas des découpages de carcasses ou des multitudes de larves, par exemple), Animus, Animalis, démontre un univers indéniablement particulier. Ce documentaire donne, toutefois, assez peu de clefs de lecture, laissant la porte ouverte à de nombreuses interprétations que pourra formuler chaque spectateur.

Aren’t you happy – Susanne Heinrich : Féministe et Coloré

Toujours dans le cadre de la Directors’ week, Aren’t Happy (« La jeune fille mélancolique » pour la traduction littérale du titre en version originale), réalisé par Susanne Heinrich donne à voir un univers peuplé de couleurs pop acidulées.

Le film est construit par un assemblement de quinze « courts-métrages » ou petites séquences, qui pourraient former une sorte de « recueil de nouvelles » autobiographiques de cette « héroïne mélancolique », dont le nom restera inconnu. Celle-ci, au fil de ses rencontres plus ou moins heureuses, est à la recherche du sens de sa vie, qu’elle souhaiterait voir commencer réellement. Elle observe le monde qui l’entoure avec un regard à la fois distant et un peu désabusé, tout en formulant des réflexions philosophico-ironiques au sujet d’évènements qu’elle vit ou a vécus.

Certains de ces différents épisodes détiennent chacun leur propre style, ou présentent des situations décalées (par exemple une épreuve de casting, un clip musical, une séance de gymnastique avec des nouveau-nés…), mais tous revêtent la même esthétique, déclinaison de toute une palette de couleurs pop joyeuses, et parsemé d’éléments estampillés « girly », dont l’on retiendra notamment une licorne à paillettes.

Susanne Heinrich dresse, dans ce premier film, le portrait d’une jeunesse féminine contemporaine, de ses déboires, de ses joies et de ses peines, et remet en question la société et les rapports entre les êtres humains. Elle déconstruit également les habituels stéréotypes attribués aux genres et les places fréquemment accordées aux femmes et aux hommes dans l’art, le cinéma et les films.

Avant l’aurore – Nathan Nicholovitch : La nuit de Phnom Penh

Concourant également en compétition Director’s Week, Avant l’Aurore se distingue dans cette sélection par le fait qu’il a été réalisé il y a déjà plusieurs années, en 2014 (et présenté à Cannes en 2015 dans la section ACID).

Dans les faubourgs de la capitale cambodgienne, l’on suit la rencontre inattendue entre Mirinda, prostitué travesti, et Panna, jeune enfant mutique. C’est à la fois les portraits de deux êtres blessés qui se rencontrent, mais aussi celui d’un Cambodge brisé, encore hanté par son passé khmer et actuellement soumis à un présent difficile, que Nathan Nicholovitch nous donne à voir.

Les réels rôles des personnages se dévoilent au fil du récit, sans beaucoup de précisions, car l’on plonge directement dans cet univers violent. La prestation de David d’Ingéo, incarnant le personnage complexe de Mirinda, est incroyable, faisant montre d’une réelle implication.

Particulièrement cru, entre blessures, morts, prostitution infantile, vente d’enfants, drogues, et trafic en tous genres, Avant l’Aurore, parvient toutefois à démontrer une forte tendresse et une délicatesse grâce aux liens d’amitié qui unissent ses personnages principaux. Telles des lueurs (d’espoir) qui permettent de voir dans la nuit ou de traverser l’obscurité, ils s’épaulent en espérant un lendemain meilleur. Avant l’Aurore, donne ainsi à voir un état du monde, entre ombres et lumières, dans la nuit de Phnom Penh.

Century of Smoke – Nicolas Graux : Opium Ensorcelé

Du côté de la Compétition Nationale du festival, Century of Smoke, premier long-métrage de Nicolas Graux, se présente sous la forme d’un documentaire dressant le portrait d’une communauté d’habitants de la minorité ethnique Akha, vivant dans un petit village montagneux du Laos, à la frontière chinoise. Pour celle-ci, et en raison de son isolement particulièrement important, la culture de l’opium est à la fois seul moyen de survie, et un dangereux poison insidieux.

Sans voix off et sans explications, l’on suit le quotidien d’une famille comme « en temps réel » ponctué de conversations entre amis et voisins, témoignages recueillis au fil du temps du tournage. Sous des pluies torrentielles, dans un environnement soumis à des brumes continuelles qui créent de magnifiques paysages, c’est bien la culture de l’opium qui est constamment en toile de fond, mais aussi, et surtout sa consommation de cette drogue, et ce qu’elle implique. Ces cultures sont en effet menacées par le régime, qui pourrait y mettre fin à tout moment, et ainsi priver le village de son moyen de subsistance.

Une grande lenteur se dégage du film, les liens entre les personnages et leurs vies ne semblent pas toujours très clairs, car l’on est immergé dans leurs discussions et réflexions directement et sans introduction. L’on ne peut donc que se laisser emporter par les volutes de fumée et de brouillards saisonniers, en découvrant cette communauté qui vit loin de tout et les ravages qu’a l’opium que les hommes, car il crée non seulement une dépendance de consommation, mais aussi une dépendance économique.