Brefs entretiens avec des hommes hideux : la toxicité masculine sans fard

De David Foster Wallace. Mise en scène de Yana Ross. Avec Annamária Láng, Conny Dachs, Urs Peter Halter, Michael Neuenschwander, Katie Pears, Lena Schwarz, Julian Gresenz, Knut Jensenau. Du 13 avril au 15 avril 2023 au Théâtre National.

On pénètre dans la salle en passant par l’arrière de la scène. On traverse le décor d’un grand pavillon californien blanc, immaculé, clinique, flanqué d’un magnifique cactus, faux. On longe une pièce vitrée où une femme et un homme copulent sur un fauteuil de bureau, pour de vrai.

L’avertissement du théâtre (« Le spectacle contient une scène de sexe non simulée et un langage qui peut heurter. Il est uniquement accessible aux personnes âgées de 18 ans et plus. ») était donc loin d’être usurpé. Et les voyeurs qu’il aura attiré en seront pour leurs frais puisqu’il n’y aura qu’une seule scène de ce type. D’aucuns ne la découvriront qu’une fois assis tant ils ont traversé le décor dans une totale indifférence…

La femme dans le caisson vitré ferme la tenture. Un homme (en fait, une femme portant une moustache) apparaît et sort du matériel de nettoyage. Un cow-boy, au costume parfaitement coupé dans un bleu pastel, prend la parole et part dans un soliloque où il dit, notamment, « c’est au moment que je jouis que ça abîme ».

Les comédiens de la Schauspielhaus de Zurich alternent monologues, dialogues, chansons de country tyrolien, souvent dans un langage cru, en allemand mais aussi parfois dans des bribes de français, le tout surtitré en français et en anglais. Le propos s’élève parfois au-dessus de la ceinture pour aborder la Shoah ou Viktor Frankl, professeur autrichien de neurologie et de psychiatrie et père de la logothérapie, une psychothérapie destinée à sensibiliser l’individu au sens de sa vie.

Dans une scénographie très esthétique et propre, le texte de David Foster Wallace défile au travers de différents tableaux de solitudes masculines toxiques comme un cours de cunnilingus sur une pêche (« langsam, vorsichtig »), la leçon du baiser parfait, comment aborder le sexe anal, les méandres de la condition humaine, des repas de tripes et de merde, jusqu’à une femme qui tricote avec son vagin.

Dense, souvent cynique, le texte de l’écrivain qui incarnait l’artiste maudit, douloureux, torturé, et devenu culte aux États-Unis, met en évidence notre déshumanisation dans une société capitaliste. Dans Brefs entretiens avec des hommes hideux. 22 types de solitude, le sexe devient le révélateur d’une humanité désincarnée et effrayante. Pour la metteuse en scène Yana Ross, Wallace « dépeint la société par le prisme du dysfonctionnement familial, notamment. Ce qu’il dénonce est courageux, c’est terrifiant de mort, d’horreur, tout en étant très vulnérable. » La violence est latente tout au long de la pièce, avec quelques sursauts plus explicites. Le côté trash, même esthétisé, doit éveiller le spectateur sur le danger d’exploiter l’autre pour des raisons économiques.