Le Bouton de nacre : Au pays des poètes, l’eau se souvient des disparus

le bouton de nacre poster

Le Bouton de nacre

(El Botón de Nácar)

de Patricio Guzman

Documentaire

Sorti le 11 novembre 2015

Tout part d’une goutte d’eau enfermée dans un bloc de quartz depuis 3000 ans dans le désert d’Atacama, l’endroit le plus sec de la planète. Une larme cosmique tombée du ciel ou arrivée avec une comète, « un message des étoiles et de la vie sur terre ». Pour marquer ce lien indéfectible entre l’eau, les étoiles et les hommes s’ensuivent de très belles images de planètes, de télescopes dans le désert et de courants marins pris dans le labyrinthe d’îles à l’extrême Sud du Chili. La beauté lénifiante des paysages et la torpeur poétique des commentaires nous bercent, nous donnent l’impression d’embarquer dans un voyage sensoriel reliant le cosmos, l’eau et les humains.

Mais le réalisateur chilien brasse encore plus large. Son propos n’a pas que des visées métaphysiques sur la place de l’homme dans l’univers. Si l’eau renvoie naturellement à la vie et à la pureté, « elle a également une mémoire », comme le disait le poète Raùl Zurita. Elle sait charrier aussi sa part de sombre et se transformer en cimetière. Dans un pays où l’eau est sa plus longue frontière, Patricio Guzmàn observe cet élément naturel de très près (perles, flocons, bruit de la pluie, tourbillons…) avant de laisser des souvenirs douloureux de son pays remonter à la surface. À partir de l’histoire de deux mystérieux boutons, il navigue lentement dans les eaux troubles du passé et fait resurgir deux grandes tragédies chiliennes : le génocide des indigènes de Patagonie avec l’arrivée des colons et le triste sort réservé aux 1400 opposants politiques – jetés dans le désert, les cratères des volcans ou à la mer avec des tronçons de rails – sous la dictature de Pinochet.

Sur un ton pénétré, il interroge l’histoire et ses non-dits en mêlant images d’archives, fiction et séquences d’aujourd’hui. Il donne également la parole aux descendants directs des peuples de l’eau ainsi qu’aux témoins (pilotes et plongeurs) du massacre perpétré par le régime de Pinochet. En réunissant l’histoire et la géographie (magnifique carte du Chili réalisée par l’artiste Emma Malig), la poésie et la politique, le documentaire de Patricio Guzmàn impose son univers unique. Sans donner de leçons ou faire de procès, le cinéaste parvient à créer un ensemble cohérent et fluide navigant entre légèreté et gravité mais aussi entre le personnel et l’universel.

Ours d’argent du meilleur scénario au festival de Berlin, le film du cinéaste chilien nous offre, avec son voyage aux confins du monde aussi bien intérieur qu’extérieur, une constellation d’histoires puissantes à résonance métaphysique sur les disparus de son pays.

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