[Avignon OFF 2023] Des Chèvres en Corrèze au Théâtre Épiscène (Interview avec Dimitri Lepage)

De Dimitri Lepage, mise en scène de Jérôme Jacob-Paquay, avec Dimitri Lepage. Au Théâtre Épiscène à 10h du 6 au 29 juillet (relâche les 10, 17 et 24 juillet).

Des chèvres en Corrèze, un Belge à Avignon, un penseur au Théâtre. Quel meilleur spectacle pour commencer la journée que celui de Dimitri Lepage ? En plus, il nous accueille avec du café et des chocolats ! Et pour être accueillis, nous le sommes merveilleusement bien. À peine installés dans nos sièges, nous approchons de la grotte d’un certain Charles. Visiblement ce dernier vit reclus depuis longtemps et n’a plus l’habitude de rencontrer des gens. Alors, il veut que tout se passe bien, que nous nous sentions en sécurité. « On va se promettre que personne ne va casser la gueule à personne. Que personne ne va balancer de trucs. Ni même dire de connerie. Comme ça, si tout le monde promet, on pourra se sentir un peu plus en sécurité. »

Et voici que ce Charles, le Robinson Crusoé des temps modernes, propose de nous raconter une histoire. Celle d’un petit garçon. C’est à partir de ce premier récit que de belles réflexions nous sont exposées. Dimitri Lepage ouvre notre boîte crânienne, regarde à l’intérieur, observe, nous grattouille le cerveau et y souffle une vision bien plus claire sur tous nos questionnements et nos doutes.

Que ce soit sur ce que nous vivons en société au quotidien ou à certains moments de nos vies, les réflexions sont d’une pertinence déstabilisante. Et sans jamais nous confronter à un quelconque jugement ou à une critique de nous-mêmes. Ce spectacle est une ouverture des yeux sans y mettre les doigts en plein dedans. Du début à la fin, le personnage nous prend par la main et nous guide dans les méandres de sa méditation. Sa voix de conteur nous ensorcèle et nous apaise en même temps.

La scène est garnie d’objets et de souvenirs. Nos yeux se promènent sur le plateau et construisent le passé de Charles. Que fait-il avec ceci ou cela ? Tous ces détritus qui jonchent dans sa grotte. On observe comme on contemplerait la décoration bizarrement agencée de la maison d’un ami. Il n’y a pas besoin de plus pour que nous nous imaginions dans cette grotte.

Des chèvres en Corrèze est un voyage initiatique qui parle à chaque personne du public. Que nous soyons en quête de liberté ou dans un besoin vital de s’accrocher au quotidien sociétal, le message s’adresse à chacun et chacune d’entre nous. Nous pouvons, nous aussi, trouver nos chèvres en Corrèze.

Nous avons rencontré Dimitri Lepage, à Avignon, juste après la pièce Six Amours, de Julie Macqueron et Vincent Mignault, dans laquelle il joue également.

Christophe : La plupart des pièces doivent s’adapter au format Avignon, notamment pour la durée. Tu as dû faire des modifications pour jouer Des chèvres en Corrèze ici ?

Dimitri : La pièce fait dix minutes de plus normalement. Notamment l’histoire d’un livre que le personnage présente. Dans la version écrite, il y a encore plus de détails. Sinon, non. Je n’ai pas vraiment modifié la pièce. Et je n’ai pas dû adapter le texte pour la France. Mon personnage pourrait venir de Belgique ou de n’importe quelle région de France ou d’ailleurs. Bien entendu, ceux qui me connaissent ou viennent du même coin que moi peuvent reconnaître certains lieux bien réels dans le texte.

Christophe : En parlant de texte, tu prévois de l’éditer ?

Dimitri : Oui. C’est un texte qui me tient vraiment à cœur et même si je prends un réel plaisir à le jouer, j’ai envie de pouvoir le transmettre différemment. Que les gens puissent le découvrir aussi chez eux, sans être obligés de venir à ma rencontre, dans ma grotte. J’attends de trouver une maison d’édition qui accepterait mon texte, mais surtout de le présenter dans la même vision que la pièce. Je veux prendre autant de plaisir sur scène qu’en la voyant sous format livre.

Christophe : Concernant ta grotte, comment as-tu fait le choix de la décoration ? La scène est vraiment riche.

Dimitri : Oui, on voulait vraiment remplir cette grotte pour qu’elle soit la plus crédible possible mais sans en faire trop. Tout ce qui est sur la scène ne doit pas forcément être utilisé. Pour nourrir l’histoire de tous ces objets, Jérôme Jacob-Paquay m’avait mis plein de choses dans un sac et je devais improviser une explication ou un récit à partir de ça. Ce qui a donné 1h30 d’histoires en tous genres. Au final, chaque objet a son propre passé mais le public n’est pas obligé de tout savoir. Habituellement, on place aussi des feuilles mortes pour recouvrir le sol mais à Avignon, on doit très vite ranger et nettoyer la scène puisque les pièces s’enchaînent. Il valait mieux éviter.

Christophe : Où l’as-tu jouée auparavant ?

Dimitri : Elle a démarré à Theux, dans mon village et a fait son petit bonhomme de chemin dans différentes salles. Et même en extérieur à Uccle. C’était une très belle expérience. Les gens avaient vraiment l’impression de venir jusque dans ma grotte. Et à deux reprises, la nature a même participé au spectacle. Je parle des oiseaux et juste après, au-dessus de moi, un oiseau se met à siffler. Et à un autre moment, c’est un renard qui est venu nous saluer. J’aime beaucoup pouvoir jouer cette pièce n’importe où. Je pourrais même m’installer au coin d’une rue, l’histoire resterait plausible et la promiscuité avec les gens fonctionnerait aussi.

Christophe : Tu nous racontes énormément d’histoires dans ta pièce, d’où viennent-elles ?

Dimitri : La grande majorité des histoires du spectacle me sont réellement arrivées. Des anecdotes quand j’étais enfant à d’autres extraits de vie, il y a quelques années. Les autres récits me viennent de discussions avec des amis. Mais beaucoup pourraient nous arriver à chacun. C’est surtout ça qui importe. Pas l’origine de l’histoire mais que chacun puisse s’y retrouver. Par exemple, nous n’avons pas tous une vieille voisine, comme expliqué dans la pièce. Pourtant, on se l’imagine très bien.

Christophe : Est-ce que tu as eu des inspirations particulières pour créer cette pièce ?

Dimitri : C’est en voyant la pièce Gilbert sur scène d’Yves Hunstad que je me suis dit : je veux faire une pièce comme ça ! Bien entendu, je n’ai aucune prétention d’arriver au niveau d’Yves, ni même d’avoir créé une copie de sa pièce. Ce n’est pas le même genre de personnage ou de thématique. Mais j’y retrouve les anecdotes d’un homme qui ne trouve pas sa place dans la société. J’aimerais beaucoup qu’un jour on me dise que Des chèvres en Corrèze est le petit frère de Gilbert sur scène.

Christophe : Tu es très accueillant, même avant que le spectacle commence. Pourquoi ?

Dimitri : Oui, on offre du café et des chocolats aux gens. Déjà parce que c’est gentil de leur part de commencer leur journée par ma pièce. Et puis, j’ai envie qu’ils se sentent bien, qu’ils se posent pour m’écouter. C’est pour ça que je poursuis cet accueil une fois qu’ils sont dans la salle. Le personnage de Charles les reçoit chez lui et veut qu’ils se sentent en sécurité. Je vais embarquer le public avec moi dans mes réflexions, autant qu’il soit bien installé et décontracté. Ça rejoint la recherche d’un bonheur ou d’une liberté que j’expose dans le texte. Se libérer d’un jugement des autres ou des coutumes.

Christophe : Tu as déjà eu du public qui réagissait trop fort durant la pièce ?

Dimitri : Non, pas vraiment. Mais après, certains sont déjà venus me voir. Notamment pour le titre. Des Corréziens m’ont dit qu’il n’y avait pas de chèvres chez eux. Ça m’a beaucoup fait rire. Le titre provient d’une expression que mon père me disait souvent. Au lieu de suivre un chemin tout tracé et dicté par la société, il faut pouvoir s’écarter de ce destin préfabriqué. Chacun devrait pouvoir trouver son activité vers une nouvelle liberté. Elever des chèvres en Corrèze ou des homards au Mali. Ce n’est pas l’activité qui importe, c’est la démarche. La recherche de sa propre liberté et de sa propre solitude. Et quand je parle de solitude, elle peut être groupée. Comme je dis dans le spectacle, on pourrait tous finir par remplir un village entier à force de partir vers notre liberté.

Christophe : Et toi, tu pourrais partir élever des chèvres en Corrèze ?

Dimitri : Pendant le Covid, j’ai fait du fromage de chèvre chez moi et il était très bon. Donc, j’ai déjà un atout. Pour le reste, je n’ai pas vraiment de choses qui me retiennent. Je n’ai pas de maison à payer, pas d’enfants, pas de voiture et avec mon métier de comédien, c’est plus facile de tout quitter. Je ne dois pas aller au bureau pour prévenir que je ne reviendrai pas lundi prochain. Alors, bien sûr, mon discours semble facile parce que j’y suis plus disposé. Mais tout le monde devrait pouvoir songer à ses chèvres en Corrèze sans trop s’éloigner de l’idée.

A propos Christophe Mitrugno 62 Articles
Journaliste du Suricate Magazine