Retour sur le XS festival au Théâtre National

Quoi de mieux qu’un bon festival pour annoncer le printemps ? Le XS, dédié aux formes courtes allant de la danse au cirque et du théâtre à la performance, revient au Théâtre National, et on s’en réjouit. Du sous-sol au bureau du sixième étage, le public navigue d’un univers à l’autre, passant de propositions de jeunes artistes aux créations de compagnies plus expérimentées. Bref : au XS, il y en a pour tous les tons et pour tous les goûts, pour le rire et pour les larmes, pour la tendresse et pour la noirceur.

La noirceur, peut-être pas, mais la gravité, certainement : le Tof Théâtre opte avec J’y pense et puis… pour un ton plus sombre que celui auquel il nous avait habitués lors des deux dernières éditions du XS. La marionnette se mêle ici au théâtre d’objets pour évoquer avec ironie nos réactions ambiguës face au drame des migrants. Avec, comme à leur habitude, finesse, humour et poésie, le Tof Théâtre fait preuve une fois de plus de sa grande inventivité. Quant aux marionnettes, prenant ici la place des marionnettistes pour manipuler des objets, elles sont plus vivantes que jamais.

Ailleurs, l’humour côtoie l’absurde : Axes ou l’importance du sacrifice humain au XXIe siècle emmène un couple distingué aux limites du langage et de la communication, s’efforçant de sauver les apparences dans un monde aux allures de photo sépia kitsch où tout se défait. Grande dame du théâtre d’objets, Agnès Limbos forme ici avec Thierry Hellin un duo stimulant, saugrenu et très visuel. Dans Les idées grises, la logique aussi est mise en défaut : les deux jeunes acrobates de la compagnie Barks Bastien Dausse et François Lemoine engagent une bataille ludique où ils s’amusent à renverser les lois de l’espace et jouent avec l’imagination du spectateur. Très rythmé, très maîtrisé, le résultat est jouissif.

Autre duo, autre expérience : dans Rave, le chanteur de flamenco (qui ne s’interdit pas les incursions dans d’autres genres) Nino de Elche chante dans la bouche du danseur slovène Matej Kejzar. Dit comme ça, ça paraît bizarre et, de toute évidence, ça l’est. Torses nus, accrochés l’un à l’autre, les deux hommes donnent à voir une image du corps masculin et du corps à corps singulière et dérangeante. De cette union troublante, qu’on ne peut s’empêcher de trouver un peu sale, naît une plainte lancinante aux accents orientaux presque mystiques, à la fois inconfortable et fascinante.

Encore une relation forte, mais moins déstabilisante : celle d’un père et sa fille, racontée dans Avant la fin. Catherine Graindorge, violoniste et comédienne, retrace les derniers mois de son père, l’avocat Michel Graindorge, personnage entier et passionné, engagé à gauche et, à 75 ans et malgré la maladie, bien peu enclin à mourir. Ce pourrait être hagiographique ou larmoyant, c’est au contraire touchant et tendre, intime et pudique à la fois.

Les pères, décidément, planent sur ce XS : avec leur installation cinématographique Fight, Camille Meynard et Emilie Marechal se penchent sur la passion pour la boxe thaïe qui lie un père et son fils adolescent dans le Borinage. On suit le dernier combat de Thong et les entraînements de Jason, 17 ans, dans les pas de son père. Peu de mots dans ces vidéos en noir et blanc mais le bruit des coups, les halètements, ou la mythologie de la boxe comme un opium scintillant dans le gris postindustriel. Et les silences, et la distance qui se creuse, magnifiquement évoquée dans une course superposée en sens inverse : les fils et les pères n’ont pas forcément besoin de parler pour nous dire les liens qui s’écartent.

Dans Moutoufs, en revanche, les pères sont marocains, et ils parlent : cinq comédiens belges (O.Moumen, H.Louk’man, M.Akhediou, M.Douieb, J.Douieb) dépeignent leurs relations lointaines avec le pays de leur père, dont ils ignorent la langue et qu’ils connaissent si peu. Loin des clichés et des discours convenus sur l’identité et les racines, Moutoufs met en scène avec humour et originalité un attachement fragile et ambigu, offrant un des spectacles les plus intéressants et les plus émouvants du festival.

Un XS avec des fils et des filles, des jeunes et des moins jeunes, de la bienveillance et de la douleur : encore une fois, on a pu mesurer toute la vitalité de la scène contemporaine belge – et moins belge – et toute la fécondité de formes hybrides, souvent prometteuses. En attendant le prochain XS, on aura peut-être la chance, qui sait, de les voir pousser.

A propos Emilie Garcia Guillen 113 Articles
Journaliste du Suricate Magazine

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