Hedda au Théâtre National du 5 au 8 octobre

© Claire Bodson

D’après Henrik Ibsen. Conception et mise en scène de Aurore Fattier. Avec Fabrice Adde, Delphine Bibet, Yoann Blanc, Carlo Brandt, Lara Ceulemans, Valentine Gérard, Fabien Magry, Deborah Marchal, Annah Schaeffer, Alexandre Trocki, Maud Wyler. Du 5 octobre au 8 octobre 2022 au Théâtre National.

Cette pièce en quatre actes est tirée du script d’Hedda Gabler de 1891 d’Henri Isben, metteur en scène norvégien. Sa réactualisation dans le champ du théâtre contemporain hyperréaliste permet d’en cerner les enjeux atemporels.

Dès les premières minutes, une déliaison se tisse entre costumes d’époques et éléments synchroniques à notre époque. Cette intrication permet de comprendre la mise en place de deux espaces : l’écran du haut est relié à une caméra et s’apparente à un espace intermédiaire, à la fois coulisse et mise en abyme du plateau ; l’espace du bas se rapproche d’un décor d’intérieur où les mœurs artistiques et égotiques s’expriment. Dès lors la vision du théâtre est Meta, les personnages prennent pour objet leur métier de comédien, de compositeur ou d’auteur, s’interrogeant sur le sens de leur activité, se référant principalement à ce qui les animent sous un angle autocentré et sans vraie volonté de synergie.

Le dévoilement progressif de l’espace et des liens douloureux qui lient les protagonistes épouse l’atmosphère indolente générale. La tension entre la symétrie de la composition et le mouvement oblique des scènes fige les corps dans un huis clos déconstruit : tableaux théâtraux et scènes de vie dessinent les contours destructeurs des convenances sociétales. La violence verbale qui passe par la crudité des injonctions – pourquoi on baise pas, t’es juste pas assez bonne comme actrice, t’es pire qu’un homme – rejoint la crudité du décor, du récit et de la température de la grande salle du théâtre Nationale.  Les femmes semblent dépossédées de leur corps, les hommes de leur pouvoir. La parabole du couple, de la réussite sociale et des malédictions familiales se heurtent à la dureté des relations humaines à mesure que les dialogues incisifs font écho à des problématiques modernes.

Direction des acteurs, intonation des monologues, gestuelles et univers sonore, tout tend vers une tragédie, laissant parfois de côté la subtilité littéraire. Dans cette tensionnelle froideur l’émotion est absente – un choix directionnel ou une surcharge dramatique ? – et désemplit le script de toute foie en l’amour, la passion ou l’amitié. Seuls régissent ici les instincts primaires, ceux du bas-ventre, des addictions et la rivalité. La pulsions de mort, symbolisée par le pistolet qui apparaît à plusieurs reprises, domine sur la pulsion de vie. En témoigne l’apathie à l’égard des fœtus, des enfants et des défunts. Les notes d’humour – en décalage avec l’ensemble – permettent de contourner sporadiquement le registre du pathos et nous tiennent en éveil.

Un discours récursif sur le monde du théâtre inspirant dans l’optique d’avoir une lecture alternative sur des scripts classiques. Les 165’ passent fluidement tant l’ambiance est immersive et l’hérésie actantielle présente.