Five Easy Pieces de Milo Rau au Théâtre National

Conception, texte et direction de Milo Rau avec Aimone De Zordo, Fons Dumont, Arno John Keys, Blanche Ghyssaert, Lucia Redondo, Peter Seynaeve, Pepijn Siddiki & Eva Luna Van Hijfte. Du 23 au 25 février 2018 au Théâtre National.

Sur scène, un adulte et sept enfants. Ils reconstituent ensemble les différents moments de l’affaire Dutroux. Ils sont enquêteurs en interrogeant le père de Marc Dutroux. Ils sont victimes en rejouant le témoignage d’une des fillettes. De la reconstitution de l’enterrement d’un des corps dans une forêt à la cave de l’assassin, les enfants jouent et filment eux-mêmes tous les rôles et toutes les scènes. « Quand on joue, on est amoureux… mais on n’est pas vraiment amoureux. Tu vois là, ta camarade est morte… mais elle n’est pas vraiment morte. »

Five Easy Pieces est un spectacle impressionnant par sa richesse et par la multitude des questionnements qu’il soulève. C’est une réflexion sur le théâtre et ce que jouer signifie. Qu’elle est la différence finalement entre interpréter une chanson de Rihanna, jouer au gendarme et au voleur, ou jouer à être une des victimes de Marc Dutroux ? Si vous trouvez cette question glaçante, et c’est largement compréhensible, c’est clairement un des effets de ce spectacle. On y rit beaucoup, on y est bousculé, et on y réfléchit pas mal en en sortant.

Et alors que l’on s’habitue assez rapidement au fait que les enfants fassent tout, l’élément qu’on pourrait dire instable est l’adulte. On est contraint de s’y ajuster en permanence. Dès le début de la pièce, il est tranchant. Il prend les enfants de haut, lève les sourcils quand leurs réponses ne lui conviennent pas, les méprisent, leur fait chanter une chanson puis les coupent quand il en a marre, bref il se place clairement au-dessus d’eux. Mais sa façon d’agir est dérangeante pour une raison précise. Ce n’est pas parce qu’il n’a pas la bienveillance d’un pédagogue, mais c’est parce qu’il abuse de son pouvoir comme n’importe quel adulte malveillant le ferait avec n’importe quel autre. En fait, il ne les traite pas comme des enfants, et c’est en y réfléchissant cela le plus dérangeant.

La scène la plus « malaisante » à ce titre est celle d’une fillette, assise sur un matelas dans la cave reconstituée de Marc Dutroux, et qui raconte à la caméra sa séquestration. Lorsqu’ils s’installent tous autour du matelas pour filmer, l’adulte demande à l’enfant d’enlever ses vêtements, et comme elle ne bouge pas, il monte le ton, puis la gronde « Enlève tes vêtements comme à la répétition ! ». Là encore, il ne la traite que comme une actrice, sans tenir compte de son âge. Et c’est là une des interrogations centrales de la pièce. Qu’est ce qui différencie les enfants des adultes. Et qu’est ce qui différencie le fait de jouer dans sa chambre et devant un public ? On voit bien que pour jouer, il sont nos égaux et même dans certains cas meilleurs que des adultes car ils ne se posent pas de questions inutiles. Mais jusqu’à quel point peut-on les traiter comme tels ?

Milo Rau est un metteur en scène qui crée ses spectacles en universitaire, en partant toujours d’un traitement très sociologique, très documenté et en questionnant systématiquement le rôle des médias dans la transmission du message au public. Pour cela, il intègre à toutes ses scénographies des retransmissions vidéo de ce qui se joue sur scène, des films préparés en amont, ou encore la radio en proposant des casques audio aux spectateurs. Mais ici, il va un cran plus loin, en nous remuant sans cesse par le foisonnement des interrogations transmisses.

Et c’est en cela que c’est un de ses spectacles les plus aboutis, ou du moins un des plus percutants. Comme tout spectacle intelligent, Five Easy Pieces pose de nombreuses questions et surtout celles que l’on refusait de se poser. Comme par exemple, qu’est-ce que ressent le père de Marc Dutroux ? Et comment était ce dernier étant enfant ? Et comme dans tout spectacle intelligent, aucune réponse définitive n’est apportée à toutes ces questions. On nous les pose, nous les impose, nous les imprègne et on nous les fait ressentir : de front, en plein coeur, en nous glaçant le sang, en nous déboussolant, en nous énervant aussi.

A propos Baptiste Rol 17 Articles
Journaliste du Suricate Magazine