Yesterday, l’insipide Beatlemania

Yesterday
de Danny Boyle
Comédie, Musical
Avec Himesh Patel, Lily James, Ed Sheeran
Sorti le 26 juin 2019

Cela vous est probablement déjà arrivé. Une chanson, un livre, un film vous parle tellement que, quelque part, vous aimeriez être son auteur. C’est à ce sentiment que fait écho le pitch alléchant de Yesterday, le dernier long-métrage de Danny Boyle : et si les Beatles n’avaient jamais existé, et que toutes leurs chansons restaient encore à faire découvrir à un public qui ne les a jamais écoutées ? L’esprit s’échauffe quant aux possibilités scénaristiques. Mais comme nous le prouve cette comédie romantique en panne d’inspiration, bon concept ne veut pas dire bon film.

Le départ était pourtant prometteur, avec un sympathique protagoniste en la personne de Jack (Himesh Patel, enthousiasmant). Musicien sans succès, que seuls ses amis prennent le temps d’écouter, il s’apprête à ranger sa guitare pour de bon lorsqu’un mystérieux phénomène change sa vie du tout au tout. Pour une inexplicable raison, il se réveille dans un monde où « Yellow Submarine » et « Here Comes The Sun » n’ont jamais vu le jour, et où une recherche Google du mot Beatles n’amène qu’à des images de scarabées. Voyant l’occasion de sortir de son anonymat, il s’approprie les chansons du groupe culte, dont il est le seul à se souvenir.

De là, Yesterday perd de son originalité. Jouant sur le fantasme du succès facile et sur les codes de la comédie romantique, Yesterday nous emporte dans une histoire prévisible, souvent plaisante (le film a le rire généreux), mais peu passionnante. Difficile en effet de s’intéresser à ce héros gentil, et à son grandissant syndrome de l’imposteur (ce qui est plus légitime). La performance vocale et physique de Patel le rend attachant, mais son personnage manque cruellement de relief. Actrice d’un certain talent, Lily James est encore moins bien lotie, puisqu’elle est réduite au rôle ingrat de soupirante en attente. Seule Kate McKinnon tire son épingle du jeu dans le personnage amusant d’une manager sans langue de bois.

Chose déconcertante pour une œuvre en hommage aux Beatles, Yesterday nous dépeint un monde qui semble avoir été peu affecté par l’absence de ce groupe mythique. Un clin d’œil à Oasis mis à part (le film n’est pas avare en gags savoureux sur son univers parallèle), le monde sans John, Paul, George et Ringo n’est guère différent de celui qui les a connus. Au final, c’est plus en termes de succès que Yesterday envisage le groupe, dépeignant comment la musique “créée” par Jack suscite une Beatlemania phénoménale, engendrant frénésie médiatique et hordes de fans. Des 17 chansons de leur répertoire reprises par le long-métrage, la plupart font ainsi partie de leur grand succès, choix compréhensible, mais un peu regrettable.

Beaucoup moins acceptable est l’idée que la comparaison contemporaine la plus pertinente avec les Beatles soit… Ed Sheeran (surtout si on est peu friand de sa musique – bonjour, c’est mon cas). Si l’artiste britannique, qui fait une apparition prolongée dans son propre rôle, reconnaît pâlir en comparaison, il est tout de même difficile de ne pas grincer des dents devant cette apparition particulièrement symptomatique de l’aspect commercial du projet.

De l’esprit des Beatles, un message subsiste : celui de la chanson “All You Need Is Love”. Pendant une bonne partie de ses 2 heures, le film tente de nous enseigner l’importance de l’amour que se portent ses deux protagonistes. Sans pour autant nous convaincre : dépourvue de vrais enjeux et de sincérité, leur romance n’est pas de celles qui font chavirer les cœurs. C’est pourtant un expert du genre — Richard Curtis, auteur de Quatre Mariages et un enterrement et Notting Hill — qui est au scénario, mais la bienveillance qui marque tant de ses films ressemble plus ici à de la paresse, gâchant un concept prometteur.

A propos Adrien Corbeel 46 Articles
Journaliste du Suricate Magazine