Villa du 8 au 12 novembre au Théâtre de la Vie

© Laeticia Defendini

Texte de Guillermo Calderón. Mise en scène de Sarah Siré. Avec Sophie Jaskulski, Mathilde Lefèvre, Sarah Siré. Du 8 novembre au 12 novembre 2022 au Théâtre de la Vie. 

Villa est une relecture de la pièce du chilien, réalisateur et scénariste, Guillermo Calderón. Sarah Siré s’attaque donc à un théâtre politique qui permet de dévoiler un pan d’Histoire du Chili, mais surtout de réfléchir universellement à l’idée de commémoration et à l’imprégnation diluée du passé dans le présent.

Une large table en bois, trois femmes d’âge égal et un objectif : voter. S’il est abscons au début, on comprend que l’enjeu concerne l’avenir de la Villa Grimaldi, symbole de la mémoire collective à Santiago. Cet ancien lieu d’extermination sous la dictature de Pinochet n’est pas un espace neutre, il est donc normal qu’un tel sujet de conversation génère des dissentiments. Musée ? Outil politique ou attraction voyeuriste ? Il faut se décider, et c’est sur fond de méfiance et d’accusation que se profile la tâche.

Trois femmes aux commandes d’un vote, l’atmosphère est à la fois féministe et fortement masculine. Car, c’est sans douceur ou sensiblerie qu’elles agissent, le ton dure monte vite, le niveau sonore de certaines répliques glace l’atmosphère au début plus comique que tragique, les absents ont tort et dès que l’une s’éclipse c’est l’heure son procès.  L’éthique, la politique et l’Histoire traversent le débat sans pour autant se dessiner nettement, le contrôle mental qu’elles semblent vouloir exercer les unes sur les autres brouillent les pistes. Pas de dates, pas de faits, pas de récit historique, simplement un sentiment d’imputabilité qui paralyse la communication. Portant sur les épaules un passif mutilé, le terrain est glissant et plus elles avancent dans le débat plus la corde devient sensible. Les traumatismes évoqués sont-ils un leurre ou un aveu ? Qui a triché pendant le vote ? C’est sur les non-dits et les faux-semblants que la tension scripturale repose. Les preuves architecturales sont intangibles tout autant que les intentions qui animent chacune d’elle, et c’est de cette vacuité que naît la frustration.

L’argumentation scénique rejoint la dialectique discursive : massive, carrées, sans issus c’est dans un décor frustre qu’évoluent les personnages, n’ayant pour point d’ancrage que leur rhétorique. Les hauts murs en briques du théâtre se posent, le temps d’une soirée, en réceptacle de blessures passées, des viols par transmission et d’une génétique non désirée. Face à leur responsabilité les trois actrices n’observent aucun point de fuite et ceci jusqu’à la conclusion finale dont éclot un silence pesant que seuls les applaudissements du public peuvent rompre, l’ambiguïté réel-fiction est alors levée. Le devoir mémoriel pèse lourd sur leurs épaules et les mots sont parfois surfaits pour décrire des crimes dictatoriaux dont les contours pourtant flous laissent un goût âpre au présent.  La charge émotionnelle ne tire pas son jus du pathos, mais des réparties cinglantes qui laissent une large place au rire tout en conservant une veine dramatique tirant vers le malaise. Le huis clos, façon Douze hommes en colère, nous dévoile peu de chose de la vie de ces trois femmes ou de leur personnalité, une lassitude et une rage sourde semblent les rassembler dans une communauté de la douleur, trait de leur sororité.

Sophie Jaskulski, Mathilde Lefèvre et Sarah Siré portent la pièce durant 1h30 sans flancher ni dans le regard ni dans la tonalité, laissant place à une liberté de réflexion politique et morale. Malgrè la distance temporelle l’unité problématique du passé se retranscrit incisivement dans le présent.