Femme de tête de Hanne-Vibeke Holst

auteur : Hanne-Vibeke Holst
édition : Héloïse d’Ormesson
sortie : avril 2017
genre : thriller politique

Après L’héritière et Le prétendant, Hanne-Vibeke Holst retrouve son personnage fétiche, Charlotte Damgaard.  La porte-parole des sociaux-démocrates danois et sa célèbre patronne, la très charismatique présidente du parti, Elisabeth Meyer, se démèneront pour que cette dernière atteigne la place suprême de Premier Ministre du Danemark, grande première pour une femme.  Mais l’horizon se couvre lorsqu’ Elisabeth découvre qu’elle est atteinte d’un Alzheimer précoce.  A quelques semaines des élections, c’est un véritable parcours du combattant qu’elle devra mener pour parvenir à ses fins tandis que son monde et ses souvenirs s’effritent peu à peu.  Dans un pays où les citoyens vivent à couteaux tirés entre les menaces d’extrémistes de tous bords et la multiplication d’attentats racistes, l’atmosphère est de plus en plus électrique.  Et comme souvent dans l’arène politique, tous les coups sont permis dans les instants de grande tension…

Femme de tête est un vrai roman sur les femmes.  Avec une telle galerie de portraits, Hanne-Vibeke Holst leur rend hommage à toutes : gentilles, garces, timides, intellos, maternelles, jalouses, courageuses, castratrices, travailleuses…  Les hommes sont bien sûr présents mais dans des rôles plutôt secondaires, souvent voués à admirer ces dames ou à se laisser diriger par elles sans pour autant perdre leurs attributs masculins.  Dans un monde où la politique réside principalement entre les mains viriles des messieurs, ce roman est aussi rafraichissant qu’un sorbet en pleine canicule sans pour autant tomber dans un féminisme exacerbé.

A propos de ces nombreux personnages (pendant plusieurs centaines de pages, il fallait s’attendre à voir pas mal de noms couchés sur papier), l’auteure s’en sort à merveille lorsqu’il s’agit de dépeindre leur personnalité, aussi diverses soient-elles.  Des politiciens aux soldats en passant par les terroristes ou les simples citoyens, elle prend son temps pour que le lecteur s’imprègne suffisamment de la psychologie et de l’état d’esprit de chacun sans aucun manichéisme.  Mais LE personnage de ce livre, celui qui en a le plus dans le pantalon, c’est Elisabeth Meyer.  Sorte de Tatcher danoise, de Terminator à la répartie cinglante qui met au tapis ses adversaires, elle possède néanmoins un côté Petite Sirène si fragile et pleine de doutes depuis la terrible annonce sur son état de santé.  Au fil des pages, le lecteur devient malgré lui voyeur et s’immisce dans la vie privée d’Elisabeth.  Il y découvre ses craintes et faiblesses qu’elle parvient malgré tout à laisser au vestiaire une fois qu’elle monte sur le ring du Christiansborg ou qu’elle part en tournée de campagne électorale, telle une rock star superbe.

Si le terme « thriller politique » vous effraie, pas de panique.  Le tandem Elisabeth-Charlotte vend davantage de rêve que l’entièreté du gouvernement belge réuni.  Imaginez un peu : on est en 2006, au cœur de la guerre en Afghanistan, en pleine traque des Talibans et d’Oussama.  Au Danemark, la politique d’intégration est la principale pomme de discorde entre les partis mais également au sein même des groupes politiques.  Et quand cela arrive, le maintien d’une même ligne de conduite et la mise entre parenthèses des émotions sont indispensables, y compris lorsqu’un attentat est perpétré sur le sol danois.  C’est sans compter les menaces de mort d’esprits dérangés ou celles d’un coprophile déchaîné.  Ou encore les conjoints qui souffrent d’être mis de côté par leur moitié qui n’a manifestement de l’énergie que pour aller traiter des affaires d’Etat.  Sans oublier les enfants avec les devoirs, les câlins et l’histoire du soir même quand on est claqué d’avoir tenu tête au Théo Franken local.  A coup sûr, une histoire plus passionnante que celle de la saga Publifin.  Le tout en ayant un aperçu de l’envers du décor avec les alliances entre partis, les stratégies avec les services de renseignements et de police ou encore les compromis avec la presse.  Et puis surtout, les coups bas, rumeurs et autres manipulations ignobles.  Tout à fait fascinant.

En outre, ce livre distille une réflexion intelligente sur l’absurdité de la guerre et ses ravages, non seulement sur la population locale mais également -et on a tendance à l’oublier- sur les soldats envoyés au front.  Car un militaire au retour de la guerre n’est pas sauvé pour autant.  Les chocs post-traumatiques peuvent être assez sévères et avoir des répercussions dramatiques.

Pour toutes ces raisons, laissez-vous prendre à ce jeu politique qui n’est certes qu’une fiction, mais qui interpellera le lecteur par le troublant rapprochement avec les évènements qui secouent toujours l’actualité.  N’ayez crainte de ce petit séjour au pays des caricatures qui vous conduira pendant près de 900 pages à la découverte d’un monde peu connu de nous, petits contribuables.  Même si ce roman peut tout à fait se lire indépendamment des deux premiers volumes, il n’y a qu’à espérer une nouvelle suite juste pour le plaisir de retrouver cet univers impitoyable…