Un pays dans le ciel, un sentiment trouble face à la parole des demandeurs d’asile

Couverture de la BD « Un pays dans le ciel » (Delcourt, 2021)

Scénario : Aiat Fayez
Dessin : Charlotte Melly
Éditeur : Delcourt
Sortie :  29 septembre 2021
Genre : Roman graphique, documentaire, drame

Un pays dans le ciel est un roman graphique construit à partir de récits de demandeurs d’asile arrivés en France. Il s’inspire de l’expérience de son auteur, lui-même exilé en Autriche, en Italie puis en France. L’album génère des sentiments contradictoires, de l’empathie au rejet en passant par le malaise face une parole sans cesse mise en doute.

Un narrateur-observateur au rôle ambigu

Le narrateur, alter ego de l’auteur dont il porte le nom, est un écrivain d’origine libanaise exilé à Vienne. Lors d’une conversation avec une étudiante à qui il loue une chambre, il raconte son expérience d’observateur au sein des « bunkers », ces préfabriqués dans lesquels se déroulent l’examen des demandes d’asile à Paris. Autorisé à assister aux fameux entretiens qui permettent aux fonctionnaires français de rédiger leurs rapports avec un avis (positif ou négatif) sur les demandes d’asile, il se contente de prendre des notes, mais ne peut pas s’empêcher de porter un jugement sur les hommes et les femmes qui défilent devant lui.

Au fil de sa discussion avec l’étudiante, il relate ces entretiens les uns après les autres, tout en analysant sa propre réaction. Lui-même étranger, il éprouve un plaisir assez malsain à être du « bon côté » et à sympathiser avec les fonctionnaires plutôt qu’avec les demandeurs d’asile.

Une parole sous pression

Les illustrations de Charlotte Melly, en bichromie rouge et bleu, sont parfois à la limite de l’esquisse, laissant les émotions émerger des dialogues plutôt que des expressions faciales. Sans yeux ni bouche, le visage du narrateur a d’ailleurs pour effet de créer une certaine distanciation avec le personnage, comme avec les récits des demandeurs d’asile. Aux antipodes de L’Odyssé d’Hakim, on ne peut pas dire qu’Un pays dans le ciel accumule les bons sentiments. On est plutôt dans le registre de la BD Les mains de Ginette qui laisse au lecteur une impression de malaise.

Quel crédit accorder à la parole des demandeurs d’asile quand leurs récits apparaissent contradictoires voire « formatés » par les passeurs qui les préparent à l’entretien ? Comment ne pas être choqué, d’un autre côté, par le côté arbitraire des décisions administratives, quant on sait que beaucoup de fonctionnaires se laissent influencer par leur antipathie ou au contraire leur empathie face à l’individu qui se trouve devant eux ? En soulignant la difficulté de distinguer le vrai du faux dans la parole des candidats au statut de réfugié, Un pays dans le ciel pose des questions difficiles et douloureuses sur notre humanité et les privilèges liés à la citoyenneté.

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Journaliste