« Théories féministes voyageuses », vers d’autres résistances

Titre : Théories féministes voyageuses
Autrice : Mara Montanaro
Editions : Divergences
Date de parution : 8 septembre 2023
Genre : Essai

C’est tout de verticales vêtu, trait de fabrique des Éditions Divergences, que sort Théories féministes voyageuses. Son titre intrigue. Alors que le soleil laisse place au crachin automnal, le mot voyage qui se détache de la couverture violette nous emporte déjà vers d’autres contrées. Le féminisme de Mara Montanaro est un féminisme qui se déplace. Mais son déplacement ne s’opère pas dans le sens « habituel », celui qui est imposé comme progressiste par l’Occident, à savoir de l’Occident vers le reste du monde. Justement, Mara Montanaro critique l’idée d’un féminisme généralisé, une homogénéisation de la lutte, parce qu’alors le féminisme devient l’apanage de l’Occident et se répercute sur des populations minoritaires qui ne partagent pas les mêmes réalités et, de facto, n’ont pas les mêmes besoins. Non ! Ce que propose la chercheuse et professeure en philosophie de l’Université de Paris, c’est de croire en un féminisme révolutionnaire qui se composerait d’une multitude de voix différentes, dont certaines n’ont pas pour habitude d’être entendues. La machine capitaliste, bien graissée avec son système sémantique qui favorise catégorisation et hiérarchisation des individus, est le moteur de dynamiques d’oppression, intrusives et muselantes.

Renégocier la place du sujet en lutte, réinvestir le « Nous, les femmes » de toutes ses identités, ne peut se faire au mépris des pratiques minoritaires. Il faut décentrer le débat, en s’intéressant aussi aux résistances étrangères, et en particulier, dans le cas de Mara Montanaro, à celles des cultures indigènes de l’Amérique Latine. Les luttes doivent converger dès lors que toutes violences sociales ou environnementales sont le produit du système capitaliste et néo-libéral. Prendre exemple sur ces communautés qui font résonner actions féministes et protection de la nature – corps -territoires opprimés et exploités au profit de la production et la reproduction – donne tout son sens à ce besoin d’intersectionnalité. Sont également du voyage quelques grandes figures de la pensées féministe ou de la philosophie ; Silvia Federici, Mariosa Dalla Costa, Simone de Beauvoir, Bell Hooks et même un peu de Marx, dont l’autrice complète le travail. Pour reprendre les termes de la quatrième de couverture, c’est une sacrée « cartographie des luttes féministes ».

On reproche parfois à ce type d’ouvrage d’enfoncer des portes ouvertes. Mais celles de Montanaro sont plutôt closes. Se retrouver confronté à des systèmes de pensée radicalement différents, qui refusent notamment l’opposition ontologique entre nature et culture, est aussi nécessaire que bouleversant. Ces théories féministes voyageuses s’adressent plutôt à un public qui ne se laisse pas intimider par une langue trop philosophique, par la précision d’un vocabulaire de la résistance. Mais Montanaro n’hésite pas à se répéter, rendant plus accessible l’ascension de sa pensée.