Le Sculpteur de Scott McCloud

scénario & dessin : Scott McCloud

traduction : Fanny Soubiran

éditions : Rue de Sèvres

sortie : 19 mars 2015

genre : Roman graphique

Peut-être avez-vous une passion. L’écriture, le cinéma, l’aéronautique…. Que sais-je. Peut-être occupe-t-elle une petite part de votre vie, voire une place importante. Si ça se trouve, vous avez même la chance d’en avoir fait votre métier. Mais à quel point le désir d’accomplir cette passion est-il important dans votre existence ? Jusqu’où êtes-vous prêts à aller pour votre rêve ?

Pour David, le protagoniste du roman graphique de Scott McCloud, Le Sculpteur (2015), la réponse est loin, très loin. Jeune homme de 26 ans plein de principes, il respire et vit à travers son art, obnubilé par la même ambition qu’il nourrit depuis sa plus tendre enfance  : devenir sculpteur. Malheureusement pour lui, le milieu de l’art n’est pas vraiment réceptif à ses œuvres, et encore moins à sa personnalité intransigeante et obsessionnelle. Un paria sans famille et presque sans amis, il peine à accomplir, pour des raisons financières et pratiques, les œuvres que son esprit conçoit. Quand la Mort (en personne !) lui propose le don de manipuler à sa guise la forme des éléments, c’est avec conviction qu’il accepte, même si ce pacte signifie qu’il n’a plus que 200 jours à vivre.

Comme on peut s’y attendre, Le Sculpteur n’est pas exactement une bande dessinée qui respire le bonheur. McCloud y explore toutes les anxiétés qui peuvent surgir dans la vie d’un artiste  : celle de ne pas parvenir à atteindre son potentiel (et celle de ne pas avoir de potentiel du tout), celle de ne jamais être reconnu par ses pairs, celle de ne pas avoir le temps suffisant pour accomplir ce que l’on veut, etc. La liste est longue, tout comme celles des épreuves traversées par le protagoniste, qui fait notamment face à la pauvreté, des sentiments imprévus et de multiples malchances.

Le Sculpteur n’est pas pour autant d’une fable édifiante sur les dangers de s’abandonner à une pratique artistique, mais un portrait sensible et complexe d’un artiste qui estime n’avoir que la sculpture dans sa vie. Avec une remarquable empathie, cette bande dessinée parvient à nous faire comprendre l’importance que peut revêtir l’art aux yeux d’une personne. Il ne s’agit pas d’affirmer que le protagoniste vit mal son existence, mais que celle-ci n’a de sens pour lui que s’il peut accomplir sa passion. Pour d’autres, comme Meg, la jeune femme dont il est malencontreusement tombé amoureux une fois pacte conclu, une vie de famille pourrait suffire, mais pas pour lui. Aucune des alternatives n’est exempte de bonheurs, ou invulnérable aux malheurs.

Derrière cet ambitieux ouvrage se trouve Scott McCloud qui a consacré une large partie de sa carrière à expliquer le processus artistique. Il est en effet l’auteur de trois volumes qui, sous forme de bandes dessinées, communiquent au lecteur comment fonctionnent les comics  : leurs origines, leurs principes narratifs ou encore le rôle qu’y jouent les couleurs. Le Sculpteur peut être vu comme une brillante mise en pratique de toute cette théorie. On y retrouve bien sûr son style de dessin, simple en apparence mais parfaitement adapté au réalisme urbain du récit, et à ses passages plus fantaisistes. Mais c’est par sa minutie que l’auteur impressionne le plus  : chaque case est élaborée pour nous affecter au mieux par ses idées et par le ressenti de ses personnages.

Tout le monde n’appréciera peut-être pas le désespoir qui imprègne souvent son récit, ou ses éléments surnaturels. Mais si le spectre très littéral de la mort hante chaque page, c’est pour mieux nous parler de la valeur de la vie, de sa capacité à nous surprendre, à nous abîmer et à nous réjouir. Une fois terminé, on ressort de ce livre aussi dévasté que galvanisé, une question à la bouche  : quel est le meilleur usage du temps qui m’est imparti ?

A propos Adrien Corbeel 46 Articles
Journaliste du Suricate Magazine

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