« Sans jamais nous connaître », rendez-vous en terrain connu

Sans jamais nous connaître
d’Andrew Haigh
Drame, Romance
Avec Andrew Scott, Paul Mescal, Jamie Bell
Sortie en salles le 14 février 2024

Je l’ai trouvée devant ma porte

Un soir que je rentrais chez moi.

Partout, elle me fait escorte.

Elle est revenue, la voilà.

 

Comme Barbara trouvait sa solitude en 1965, Adam accueille la sienne dans le film d’Andrew Haigh en ce début d’année. Adam est un scénariste homosexuel et célibataire qui vit dans un immeuble moderne d’un nouveau quartier londonien. Plus que moderne, l’immeuble est désert et le quadragénaire n’y croise qu’Harry avec qui une relation se noue, comme hors du temps. En parallèle, Adam retourne dans la ville qui l’a vu grandir où l’accueillent, dans la maison de son enfance, ses parents. Problèmes, ses parents sont morts, lorsqu’il avait 12 ans. Ainsi s’entrecroisent deux histoires, deux temporalités : Adam avec Harry, dans l’ici et le maintenant, et Adam et ses parents, dans l’ailleurs et le on ne sait pas vraiment quand.

Car cette seconde histoire est bien loin d’être un anodin flashback. Si tout sent les années 80 dans cette maison où Adam est accueilli, lui, pourtant, garde ses airs d’adulte, apparaissant, même, plus vieux que ses parents. Se développe alors, au grès des allers-retours du protagoniste, un dialogue entre deux époques, entre un couple littéralement bloqué dans le passé et leur fils, partie intégrante du monde actuel. On touche, dans ce rapport, à ce qui se rapproche le plus de ce qu’est la nostalgie. Non pas un regard triste sur des choses qui n’existent plus, mais une mise en perspective du passé. Oui, il y a un côté déchirant à contempler une période révolue, et sûrement que la mémoire l’idéalise, rendant l’existence plus belle. Mais, à y regarder de plus près, on se rend vite compte que rien n’a jamais été tout rose.

Ainsi, l’Adam ému de retrouver ses parents après tant d’années sait que la relation qu’il entretenait avec eux était loin d’être épanouissante, qu’il souffrait d’une différence à laquelle ses géniteurs restaient sourds. L’homosexualité est un sujet central du film. Alors qu’elle apparaît tout à fait normalisée dans son rapport au monde contemporain, elle est source d’inquiétude et de rejet, deux des conséquences les plus virulentes de l’ignorance, dans un passé pas si lointain. Aussi, c’est ce regard qui pousse la nostalgie hors du périmètre de l’affect. Repenser aux années 80, pour Adam, c’est revivre la différence, l’ostracisme, une époque de luttes, car l’homosexualité était communément admise comme une déviance, une maladie. C’est aussi se replonger dans le contexte d’une maladie bien réelle, elle. En effet, le sida, faisait son apparition quelques années plutôt et trainait la réputation de ne se propager que dans la communauté homosexuelle. La nostalgie, c’est cette ambiguïté, un sentiment de manque mêlé à celui du soulagement. Le passé est mort, révolu, impalpable, et c’est aussi frustrant qu’apaisant.

Mais le film ne s’arrête pas à décrire la nostalgie, car celle-ci passe par une profonde solitude. La solitude, ce n’est pas être seul, mais avoir le sentiment de ne plus être entouré. Coincé entre une situation familiale fantomatique et une relation amoureuse aux allures fantasmatiques, Adam semble esseulé. Est-ce que ces apparitions sont réelles ou ne sont-elles que des projections de son esprit ? Si la réponse permettrait de catégoriser le long-métrage, plutôt en cinéma fantastique, ou plutôt comme un film psychologique, elle n’a que peu d’importance pour saisir le propos. Adam dialogue avec le passé et, par le deuil, cherche la paix en se débarrassant de ces fantômes, qu’ils existent ou non. Qu’ils le laissent seul, afin qu’il ne ressente plus cette solitude.

Sans jamais nous connaitre suit ce chemin par une route inhabituelle. Une narration originale qui ne souffre pas du trouble qu’elle jette sur la chronologie, car ce n’est pas un film d’histoire, mais de ressenti. Un film qui s’articule autour des sentiments sans que la lisibilité de l’intrigue soit remise en question. Un impressionnant tour de force, aussi prenant qu’émouvant.