Post Mortem chemine entre les vivants et les morts

© Alice Piemme

De, avec et mis en scène par Jasmina Douieb. Du 23 janvier au 27 janvier 2024 au Vilar.

La salle est totalement plongée dans le noir. Des piaillements d’oiseaux rompent le silence suivis du son d’une voix qui évoque la mort, le deuil. Jasmina Douieb avance, pieds nus, sur la scène éclairant ses pas à l’aide d’une lampe torche. Elle parle de sa mère qui se promenait nue, à poil. « Je me souviens des parties de son corps », dit-elle, montrant dans le halo de lumière son ventre, la cicatrice sur la poitrine, ses seins. « Je faisais partie de son corps, comme un sixième doigt ».

En décembre 2016, sa mère lui dit qu’elle va mourir. En janvier 2017, elle lui annonce être atteinte d’un cancer du poumon, incurable. Le 25 septembre, la terrible nouvelle tombe. « Depuis son décès, je ne lui ai plus parlé, plus téléphoné et j’ai à peine rêvé d’elle », regrette-t-elle avouant qu’elle est complètement désemparée par cet événement.

Elle s’approche du fond de scène constitué d’une accumulation de meubles sur lequel est projeté l’image d’un visage, Geneviève, sa mère, qui fumait beaucoup, « comme on fumait dans les années 70 ». Jasmina Douieb explique que quand elle est morte, elle a cru qu’elle n’arriverait pas à vivre cette situation. Puis elle s’est dit qu’elle allait en faire un spectacle. « Je vais faire un truc que je sais faire : un spectacle. Sur un truc que je ne sais pas faire : mon deuil. »

À ce moment les photos de différents visages apparaissent et des voix s’élèvent pour parler de la mort d’un être proche, un père, une mère, un frère, une sœur, un enfant, et même un chien. Des décès récents ou anciens mais dont la trace est toujours vivace. « Je vais faire parler les autres, a-t-elle décidé. Les faire pleurer à ma place. » La comédienne a ainsi réalisé des interviews de personnes passées par cette épreuve, 27 témoins au total.

« Cela fait un paquet de fantômes, ironise-t-elle, comme un groupe de parole à l’intérieur de moi ». Chaque fois qu’elle ouvre une porte, un volet, un couvercle d’un des meubles entassés, une voix s’en échappe. Ici, la scénographie remarquable de Charly Kleinermann et Thibaut De Coster devient également partie prenante du jeu de la comédienne, comme elle le sera encore plus tard comme si elle prenait vie en ouvrant les meubles spontanément alors que l’actrice s’évertue à les fermer. Tous ces objets du quotidien qui la composent sont comme ceux auxquels on s’est habitué à force de les voir mais qui revêtent une autre valeur par le souvenir de la personne qui n’est plus là.

Les témoignages livrés par bribes font également allusion aux signes que les défunts envoient à leur proches depuis l’au-delà, ce que l’on appelle les vécus subjectifs de contact avec un défunt (VSCD). L’actrice nourrit une certaine tristesse d’avoir été, selon elle, oubliée par sa mère, allant jusqu’à demander si Kawa, le chat recueilli par l’ami dentiste, n’a pas laissé un message. Consciente que « le signe fait signe », elle ne peut s’empêcher de se souvenir que, cinq mois après son décès, le groupe WhatsApp qu’elle partageait avec ses sœurs et sa mère a affiché : « Geneviève est partie ».

Juste après le décès de sa mère, quelqu’un lui a offert un livre de Vinciane Despret, Au bonheur des morts, ce qui l’avait plutôt énervée. Elle l’avait classé dans la pile de « livres offerts récemment et qu’il faut absolument que je lise » jusqu’au moment où le déclic s’est fait et qu’elle a compris ce qu’elle devait faire. On y lit, notamment qu’il faut tuer le mort mais aussi que « les morts nous libèrent, font de la place ».

Autour du délicat sujet de la mort, l’autrice, metteuse en scène et comédienne trouve les mots et les gestes justes pour exprimer, avec humour, sensibilité et une émotion retenue, son cheminement personnel sur « ces petits sentiers du deuil » qui parlera à tout un chacun. Le deuil n’est pas à faire, il nous accompagne et nous devons apprendre à vivre avec lui. Et puis, « il faut foutre la paix aux morts pour qu’ils puissent faire leur vie ».