Paradis fin de règne : quand le théâtre s’essaye au théâtre

© Alice Piemme

De et mis en scène par Alyssa Tzavaras, avec Charlie Degotte, Stéphane Diskus, Ludovic Drouet, Bernard Graczyk, Sarah Espour, Anthony Ruotte, Lionel Ueberschlag et Martine Wijckaert. Du 14 mars au 24 mars 2023 au Théâtre Les Tanneurs.

Au fond de la scène plongée dans l’obscurité, une porte ouverte donne à voir l’ombre d’un homme qui fait les 100 pas. Des pleurs résonnent derrière nous, une femme emprunte une passerelle surélevée pour rejoindre l’homme qui vient à sa rencontre. Au bord de l’hystérie, elle lui annonce que Boris est mort. Ils cachent le corps, nu et taché de sang, dans la chambre froide.

Dans la lumière, il semble que nous sommes dans un atelier de fabrication de décors de théâtre. Un homme réveille Stéphane qui piquait, discrètement, un roupillon dans un divan. Il se met à la table de mixage et lance du son tandis qu’un immense palmier s’affaisse au sol. Nous sommes en pleine préparation d’une pièce de théâtre, Caligula de d’Albert Camus, dont Swan, l’homme qui a dissimulé le cadavre, est le metteur en scène.

La directrice du théâtre, Linda (Martine Wijckaert), apparaît sur la coursive qui domine le plateau. Elle est d’une humeur massacrante, la pièce n’avance pas, l’acteur qui tient le rôle principal, Boris, a disparu et l’homme du ministère va débarquer dans la demie heure pour juger du caractère innovant du travail des artistes et décider, ou non, de la fermeture du théâtre Le Paradis.

« Tu ne sais pas ce que ce lieu représente pour moi, dit Linda à Swan. C’est toute ma vie. Je ne peux pas perdre ce lieu, ancien abattoir (ce qui explique la chambre froide, NDLR) à l’architecture en ruine. » Elle impose donc au metteur en scène de confier le rôle de l’empereur romain à Aldo, l’homme de ménage le plus vieux du monde, et lui fait signer un contrat qui stipule qu’elle est la créatrice de la pièce en devenir. « Au théâtre, il n’y a rien qui est vrai, tout est faux », conclut celle que l’on surnomme l’impératrice.

Mais le metteur en scène n’entend pas être dépossédé de son projet qui lui vaudra la reconnaissance. « Mon nom sera frappé sur tous les frontispices, tu verras, Linda, tu verras. » à la faveur d’une coupure de courant, Swan revient en Caligula, pauvre empereur, seul, haï mais convaincu de son génie et de son pouvoir qu’il va utiliser pour faire le vide autour de lui. « Pour un homme de pouvoir, la rivalité des dieux a quelque chose d’agaçant. »

Dans Paradis fin de règne, Alyssa Tzavaras parle de la soif du pouvoir et des moyens que l’on met en œuvre pour l’atteindre et satisfaire sa quête d’absolu. Quand le metteur en scène devient l’empereur, l’œuvre dépasse et engloutit son créateur. La pièce fait des allers-retours entre la fiction, l’onirisme et la réalité.

Cette dernière prend une consistance particulière en faisant appel à certains artistes qui ne sont pas acteur·rices de formation, comme Martine Wijckaert et Charlie Degotte, véritables monuments du paysage théâtral belge qui ont connu une certaine période d’utopie. Le texte de Linda, la directrice de théâtre en manque de reconnaissance, s’inspire directement de propos tenus lors d’interviews par la fondatrice de la Balsamine.

Ce choix dans la distribution tout comme celui d’opter pour une « partition scénique » dont le déroulé narratif laisse de la place à des improvisations encadrées, confère à l’exercice comme un côté inachevé. Il règne, par moments, une certaine confusion et un déséquilibre entre scènes que l’on pourrait considérer comme accessoires par rapport à d’autres plus essentielles. Le rodage de la pièce ne peut que lui donner plus d’assurance.