Midam, rencontre avec un auteur exigeant

Auteur reconnu de la scène BD franco-belge, Midam nous propose depuis 1992 de voir la réalité à travers les yeux d’un enfant à l’imagination débordante, peuplée de monstres gluants et terrifiants.  Mais ce n’est pas uniquement de Kid Paddle dont nous allons parler durant cette interview, car l’univers créatif de l’auteur ne s’arrête pas à celui de son personnage fétiche.

En parlant d’univers créatif, où vous, Midam trouvez-vous votre inspiration ?

Comme chez beaucoup d’auteurs, l’angoisse de la page blanche est présente chez moi et croire que l’on disposerait d’un stock d’idées prédéterminées pour chaque série est une erreur, un concept qui ne ferait qu’augmenter cette angoisse. Au cours de ma carrière, j’ai bien entendu usé de 1001 stratagèmes pour dépasser cette crainte, mais in fine, c’est une manière de penser, de voir les choses différemment qui est le moteur de la création. Scénariser ces aventures, c’est appliquer aux scènes de la vie courante un filtre particulier qui rend celle-ci plus belle et frémissante, qui fait que l’on peut échapper aux aléas d’une existence plus triste et difficile.

Depuis quelques années, une autre source d’inspiration pour les personnages de l’univers de mes héros est le crowdsourcing. Comme expliqué dans l’exposition rétrospective qui m’est consacrée au Centre Belge de la Bande Dessinée, les lecteurs peuvent me faire part de leurs idées de gags. Je me propose de les mettre en scène dans un album si ceux-ci correspondent à l’univers de la série.

Comme chez d’autres auteurs, on retrouve des personnages et des structures récurrents dans les albums de Kid Paddle. Ce système est-il une contrainte ou une opportunité pour faire évoluer le personnage ?

Chaque album de Kid Paddle s’articule autour de ces gags récurrents. Ils en sont la colonne vertébrale et participent dès lors pleinement à la réussite de l’album. Comme évoqué plus haut, c’est aussi une manière de se libérer quelque peu du défi que représente la création de chaque gag.

Kid Paddle existe depuis 1992, le premier album est publié en 1996. A-t-il évolué avec son temps, ou est-ce un personnage imperméable aux événements extérieurs ?

 Faire évoluer son personnage, c’est tomber dans un piège, celui de l’obsolescence. Si vous donnez une référence temporelle aux lecteurs, vous prenez le risque que vos albums paraissent vieux d’ici quelques années, vous vous exposez aux commentaires de ceux qui diront que tel jeu n’est plus à la mode, que les gens ne s’habillent plus comme ça dorénavant… En vous détachant de ces références temporelles, chaque album garde sa pertinence dans la durée.

Si Kid est toujours resté lui-même, les gags ou la manière de faire rire ont-ils évolué au fil du temps ?

Comme tous les auteurs, je pratique une certaine forme d’autocensure et juge, surtout s’il vient du crowdsourcing, si le gag reste dans la lignée des valeurs de la série. Néanmoins, mon humour n’a pas évolué depuis les débuts de Kid Paddle, et tout ce qui est drôle selon moi paraît bien dans les albums.

Que penser des dessins animés tirés des albums ? Verra-t-on d’autres adaptations dans un avenir proche ?

Scénariste de BD et scénariste de dessins animés sont deux professions fort différentes. Si un travail honnête a été réalisé pour l’adaptation sur petit écran, il est très difficile de transposer l’humour d’une BD vers un dessin animé. Des contraintes techniques différentes comme le fait d’être limité à 9 ou 12 cases en BD font que l’humour n’est pas le même car c’est toujours des contraintes que naissent la création. Il est dès lors très compliqué de susciter le même type d’humour via deux supports totalement différents.

Pour ces raisons et aussi parce que mon agenda est très chargé en ce moment, aucune nouvelle adaptation n’est envisagée dans un avenir proche.

Votre actualité, c’est également une rétrospective au Centre Belge de la Bande Dessinée, visible jusqu’au 28 août 2021.  Comment la percevez-vous ? Est-ce un bilan à mi parcours ?

C’est évidemment flatteur de se voir consacrer une rétrospective, mais c’est surtout l’occasion d’avoir une vision d’ensemble sur mon œuvre et de sortir la tête du guidon. Grâce à la collaboration avec la commissaire de l’exposition, c’est l’occasion de proposer un ensemble cohérent au public afin de mieux faire connaître mon travail. En outre c’est une opportunité personnelle de voir ce que l’on a réalisé et surtout de porter mon regard vers l’avenir afin de faire encore mieux.

L’exposition permet aux visiteurs de se familiariser avec une autre de vos séries, Histoires à lunettes, dans laquelle on retrouve un humour assez trash et absurde. Quelle a été l’inspiration pour ces albums ?

L’humour de la série Durant les travaux, l’exposition continue… est le même type d’humour que l’on retrouve chez l’auteur américain Gary Larson à travers la série quotidienne The Far Side. Malheureusement, tant la traduction française de cette série que la collaboration avec Clarke pour la série des Histoires à lunettes n’a pas rencontré le succès escompté auprès du public, raison pour laquelle la série s’est arrêtée après trois albums.

Une série qui ne trouve pas son public, mais qui vous ouvre néanmoins des portes…

Faire une BD à l’humour plus adulte vous ouvre la porte de certains festivals et permet d’acquérir une reconnaissance auprès de la critique. La profession vous considère différemment. Néanmoins, cela permet de constater que le public des festivals est un microcosme fort différent de celui du public en général, et que des acclamations en festival ne se traduisent malheureusement pas toujours par des ventes suffisantes. C’est le prisme déformant des festivals.

Grâce à des assistants, vous menez à présent de front plusieurs séries. Quels sont vos projets d’avenir ?

Il faut garder une exigence de qualité en ce qui concerne Kid Paddle et Game Over. Il faut faire attention à ce que celle-ci ne décline pas. Néanmoins, mon but n’est pas de m’occuper à temps plein de ces séries pendant encore 20 ans, mais plutôt de faire connaître pour les autres facettes de mon travail, notamment les grandes illustrations en couleurs. Cela nécessite bien entendu une grande organisation et également une certaine prise de risque, car c’est comme débuter une nouvelle carrière, mais c’est ce qui me procure le plus de plaisir actuellement.