Lucy de Luc Besson

lucy affiche

Lucy

de Luc Besson

Science-Fiction, Action

Avec Scarlett Johansson, Morgan Freeman, Min-sik Choi, Analeigh Tipton, Amr Waked

Sorti le 6 août 2014

À la fin des 89 minutes de Lucy, on a du mal à dire si c’était long ou divertissant. Ou un long divertissement.

Lucy, étudiante américaine à Taïwan, est forcée par un de ses amis de livrer une valise suspecte à « Mr Jang ». En quelques minutes, les choses basculent et elle se retrouve contrainte de transporter dans ses intestins un sachet de CPH4, une nouvelle drogue destinée au marché occidental. Alors qu’elle se fait battre par un homme de main de Jang, la poche de drogue s’ouvre et se répand dans son organisme. Ses capacités cérébrales se développent et semblent repousser toutes les limites…

Ceci n’est pas un documentaire

« J’ai travaillé sur l’aspect scientifique pendant plusieurs années avant même de penser à au script. Je veux d’abord avoir la connaissance. Je veux savoir de quoi je parle en premier lieu. » (Luc Besson, interviewé par William Bibbiani)

Le pitch de Lucy repose sur un théorème expliqué dans le film par le professeur Norman (Morgan Freeman) : « on estime que la plupart des humains n’utilisent que 10% de leurs capacités cérébrales. Imaginez si nous pouvions atteindre 100%. Ça commencerait à devenir intéressant. » Or, si Besson a passé plusieurs années à se renseigner avant de se lancer dans le scénario, le résultat reste plus grand public que scientifique.

La théorie des 10% est aussi séduisante qu’irréelle. Dans un article de 2012, la journaliste anglaise Claudia Hammond a mené son enquête : de nombreux éléments infirment le mythe.

– Un scan montre que le simple fait de fermer ou d’ouvrir une main mobilise notre cerveau au-delà de 10%. De fait, outre les gestes conscients, notre cerveau gère également toute une série de paramètres liées aux fonctions vitales (respiration, battements du cœur, etc.).

– « Use it or lose it » est le crédo de notre encéphale : les cellules inutilisées par notre cerveau doivent être employées d’une autre manière ou disparaître. La théorie des 10% signifierait donc que plutôt que de se mettre en mode « veille prolongée », nos capacités cérébrales s’évanouiraient à jamais. De quoi écrire un film catastrophe en contrepoint à Lucy.

– Enfin, notre cerveau monopolise jusqu’à 20% de nos ressources corporelles. Si un organe brûlant autant d’énergie ne nous offrait qu’un dixième de rendement, ce serait à tout point de vue un ratio contreproductif.

Le mythe de la sous-utilisation de notre cerveau est évoqué au début du XXème siècle par le psychologue anglais William James ; selon lui nous n’utiliserions qu’une partie de nos capacités mentales et physiques. Son postulat, très imprécis, sera repris et monté en épingle. Mais comme il existe un mythe dans le mythe – une sorte de tur-turkey-key de la légende urbaine –, on attribue souvent la parenté de cette théorie des 10% à Albert Einstein. Or, rien de tel n’a jamais été prouvé.

En définitive, jusqu’à preuve du contraire, nous utilisons 100% de notre cerveau. Les connections entre les cellules peuvent augmenter, certaines cellules inutilisées ou endommagées disparaître, mais rien de plus. Aucune pilule bleue (CPH4), transparente (le NZT dans Limitless de Neil Burger) ou rouge (ah non, ça c’est Alice et Matrix), ne nous permettra de décupler nos capacités intellectuelles. À ce stade, il est peut-être mieux d’en revenir à Besson: « Après, je ne veux pas faire un documentaire sur les capacités cérébrales ». C’était bien la peine de faire plusieurs années de recherches.

Une première partie réussie

« Je voulais faire quelque chose de divertissant, un thriller » (Luc Besson).

Dans ce cas, « on disait que », et on embarque dans la théorie des 10%. La première demi-heure du film, proche du thriller d’anticipation, est bien menée même si très découpée, puisque diverses séquences s’entrecroisent. D’une part, il y a le professeur Norman. Le gentil scientifique à la Père Castor livre une conférence où il expose ses théories sur l’intelligence humaine et le but de l’humanité. D’autre part, il y a Lucy, obligée d’en découdre avec une mafia coréenne qui ne parle que coréen (pas pratique pour le business international). Au milieu de tout cela, s’intercalent des images de mitose cellulaire et de documentaires animaliers.

Cette première partie est divertissante, car elle plante le décor de façon décomplexée. On voit ainsi Mr Jang, joué par l’acteur sud-coréen Choi Min-sik (Old boy, I saw the devil), se laver les mains à l’eau de source au milieu de sa suite après avoir tué des quidams. Il y a aussi cette scène géniale où le médecin de Jang, pimpant et enthousiaste, brieffe les mules sur leur mission comme si elles partaient en excursion.

Cependant, à mesure que le film avance, il perd son humour au profit d’un sérieux mis à mal par de nombreuses incohérences. Par exemple, si cette drogue rend si intelligent, pourquoi personne autour de Lucy ne pense à en prendre ? Si Lucy peut tout contrôler, son apparence, le temps, l’espace, etc., pourquoi diable s’embête-t-elle encore à prendre l’avion ou à slalomer entre les voitures dans Paris ? La télétransportation serait quand même plus pratique. On n’entendra pas non plus les progrès de Scarlett en français (ndlr : Scarlett Johansson est fiancée au Français Romain Dauriac et a vécu quelques mois à Paris), car malgré tous ces cristaux bleus, Lucy continue à ne parler qu’en anglais.

AAA : Actrice. Action ? Amour ?

Question interprétation, Scarlett Johansson passe toujours aussi bien à l’écran et ce, malgré un jeu mono-expressif pendant les trois quarts du film. La déshumanisation de Lucy est en effet inversement proportionnelle à la croissance de son intelligence. (Ce qui soit dit en passant nie la théorie des intelligences multiples.) Pourtant, Johansson réussit à insuffler un peu d’âme (et de notoriété) à son personnage dont toute conscience ou conflit intérieur est avorté après l’atteinte de 20% de taux d’utilisation de son cerveau.

Le film est mi-figue mi-raisin quant aux scènes d’action : ça bouge, ça tire, ça crie… alors que Johansson ne réalise aucune prouesse physique. Lucy ne se transforme ni en V (for Vendetta) ni en impitoyable guerrière. Sa plus importante scène de combat consiste à marcher langoureusement en petite robe et Louboutins en faisant quelques mouvements de main.

Enfin, côté romance, il n’y a rien à attendre d’un film centré sur un personnage qui se transforme en machine intelligente. À côté de Lucy, il y a bien le policier Pierre Del Rio, incarné par l’acteur égyptien Amr Waked, mais face à l’héroïne bessonienne, puissante par définition, il est réduit à un faire-valoir. Entre ces deux personnages n’existera qu’une fausse tension sexuelle résumée dans un risible et trop rapide baiser. Del Rio ne s’en sort pas mieux professionnellement: il est à la tête d’une police française dépassée qui, depuis Taxi, semble toujours aussi mal préparée aux courses-poursuites et fusillades.

Métaphysique, philosophie, histoire du genre humain.

« Et ensuite j’ai commencé à me demander : peut-on faire un thriller avec du contenu philosophique ? Est-ce possible ? Essayons. Essayons de faire les deux. On peut avoir l’un ou l’autre, mais qu’en est-il de faire un film où il y a les deux ? C’est mon but. » (Luc Besson)

Plus l’histoire avance, et plus on se demande où l’on va. Il y a ce moment charnière où Lucy contacte le professeur Norman et lui demande ce qu’elle doit faire de toute cette intelligence. Là, on s’interroge : Besson n’est-il pas en train de se demander ce qu’il doit faire de son film ? Du thriller de façade il verse dans une démonstration métaphysique visuelle. Or Besson troque la réflexion philosophique contre les effets spéciaux. En juin 2012, Christophe Lambert, directeur général d’EuropaCorp, a déclaré que Lucy capitalisait le budget le plus élevé de toute l’histoire de la société. Heureusement, au cas où l’on s’en inquiéterait, au vu des premiers chiffres du box-office, Besson a déjà bien rentabilisé son long-métrage.

Quelques questions philosophiques émergent çà et là dans le film : quel est le but de l’humanité ? Qu’est-ce que l’intelligence ? Toutefois les réponses sont bancales et d’une simplicité atterrante, d’autant qu’elles proviennent d’une créature qui tient finalement plus de l’ordinateur que de l’humain. Sur la fin, le long-métrage vire en une animation colorée sur l’apparition de la vie sur terre. Lucy voyage à travers le temps et l’espace et sont ainsi passés au blender Paris, New-York, Jurassic Park, Yakari et La création d’Adam de Michel-Ange version « Quand Lucy rencontre Lucy ». Sans oublier quelques scènes de fusillades, car il faut bien mener jusqu’au bout le « thriller » dans lequel on s’était engagé. Et…PAF ! Besson nous sort une fin minimaliste pas plus consistante qu’un Chocapic.

Malgré ses prétentions scientifico-philosophiques, Lucy pose un dilemme : ou on accepte l’incohérence et la superficialité du film ou on y résiste. Mais quel choix ironique pour un film traitant de l’évolution et de l’intelligence humaine.

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