Loco, une folie maîtrisée du bout des doigts au Théâtre de Poche

© Jérémy Sondeyker

De Natacha Belova et Tita Iacobelli. Avec Tita Iacobelli et Marta Pereira (en alternance avec Anne Romain). Du 29 novembre au 17 décembre 2022 au Théâtre de Poche.

Tout simplement époustouflant.

Loco a été nommé au Prix Maeterlinck de la Critique 2022 dans la catégorie « Meilleure réalisation artistique et technique » et ça n’étonne personne. La petite vie ordinaire de Popritchine a bien des surprises extraordinaires à nous offrir. Et puis, pourquoi Popritchine est copiste d’abord ? Pourquoi pas roi d’Espagne oublié ? Adaptation libre du Journal d’un fou de Gogol, Loco nous emmène dans le quotidien de son protagoniste qui taille des crayons dans le cabinet des hommes d’Etat. Alors quand Sophie, la fille du directeur, passe la porte du bureau, le tourment s’empare de Popritchine. La barrière des privilèges est trop violente que pour accepter cette réalité.

Drôle…

C’est l’humour qui enveloppe tout le spectacle, que ça soit les gestes hyper maitrisés de Marta Pereira et Tita Lacobelli ou l’esprit vagabond de Popritchine, on ne peut s’empêcher de retomber en enfance face à la marionnette qui s’anime tel un comédien unique sur le plateau. Bien que visuellement, cette forme polycéphale qui se chamaille avec elle-même peut aussi être impressionnante et terrifiante. Mais le rire masque souvent autre chose, on retombe dans l’absurde du Journal d’un Fou où le spectateur doit se démener avec la folie du personnage pour faire le tri entre la réalité et le reste. Finalement, c’est une mise en scène des désirs contemporains, cachés derrière les rêves et pensées qui traversent l’esprit durant une journée de travail, le tout accentué par l’amour.

…triste et curieux…

Popritchine est un personnage qui ne ressemble à aucun autre. Il a conscience de sa condition seulement quand celle-ci devient un frein à ses ambitions. S’il nous fait mourir de rire, il ne nous renvoie pas moins l’image d’un homme triste. Il n’a que ses copies et son esprit pour combler sa curiosité débordante envers les gens de l’Etat. C’est dans ce mélange de tristesse et de curiosité que naissent les idées du paraitre. Imaginez qu’un petit employé, un copiste, soit en fait quelqu’un de beaucoup plus important, tellement important qu’il deviendrait celui qui se rit des autres, ce serait « extraordinaire mais pas impossible », un mantra qu’il aime se rappeler avec conviction.

…bref, une merveille.

Ce qu’on retient du spectacle, c’est l’émerveillement au sens plein : étonnement et admiration. Absolument tout est d’une maitrise exquise et nous laisse bouche béante. Après avoir gagné plusieurs prix (prix du Meilleur Spectacle et de la Meilleure Actrice en 2018 au Chili, prix du public pour la Meilleure mise en scène, et prix Maeterlinck en 2019 en Belgique, pour leur premier spectacle Tchaïka), la compagnie Belova – Lacobelli nous régale avec Loco. L’intention de repartir d’un conte russe datant de presque 200 ans (Nicolaï Vassiliévitch Gogol publie Le Journal d’un fou en 1834) était une entreprise risquée dans un présent où le public aime se projeter dans la culture, mais tout en gardant la réalité de l’auteur, la compagnie a réussi à l’adapter aux yeux d’un public actuel. L’histoire de Popritchine finit par résonner avec notre existence, autant dans ses blessures quotidiennes que dans ses tourments les plus surréalistes, ses rêves qui évoluent sur scène deviennent les nôtres, et pourtant nos yeux sont grands ouverts…