Tchaïka, une perle rare au Théâtre des Martyrs, jusqu’au 20 octobre

D’Anton Tchekhov, avec Tita Iacobelli, mise en scène Natacha Belova & Tita Iacobelli, scénographie Natacha Belova, musique Simón González d’après la chanson La pobre gaviota de Rafael Hernández. Du 3 au 20 ocotbre 2019 au Théâtre des Martyrs. Crédit photo : Michael Gálvez

Qu’est-ce qui reste d’une vie dédiée à la scène ? Après avoir vécu mille existences à chaque fois différentes, après avoir répété des mots qui sont devenus les nôtres, après la gloire, le succès et la bohème, quand les sentiments de mille femmes nous ont traversés et leurs enfants sont devenus nos enfants ? Qu’est-ce qu’il reste d’un artiste quand il dit adieu à son art ? La compagnie Belova-Iacobelli propose une réflexion autour de ces questions en nous racontant l’histoire de Tchaïka, une vieille actrice au crépuscule de sa vie. C’est le jour de ses adieux, sa dernière fois sur les planches pour jouer la Mouette de Tchekhov, mais elle l’a oublié. Les personnages interprétés pendant toute sa carrière se mélangent entre eux et hantent sa mémoire comme plein de voix qui l’amènent vers son déclin. Sa mémoire la lâche et elle arpente la scène sans un but précis mais il y a une jeune femme, derrière elle, qui la soutient et l’accompagne en lui rappelant, tout au long de la pièce, qui elle est, et qui elle a été.

Tchaïka, spectacle pour une comédienne et une marionnette, est le premier projet artistique de cette compagnie belgo chilienne et on y trouve une personnalité unique et originale et une richesse étonnante. Les plusieurs voix de Tita Iacobelli ainsi que la performance impressionnante qu’elle fait avec la « marionnette Tchaïka » capturent le public et l’amènent dans un entre-deux fait de personnes et personnages, de réalité et fiction, de passé et de présent. Les objets se transforment en personnages eux-mêmes avec lesquels elle peut interagir.

Tout autour d’elle est décadent, on dirait le salon d’une maison abandonnée avec un vieux fauteuil et une table couverts de draps, et un rideau poussiéreux. On est témoins de l’effort de cette vieille Tchaïka qui se bat contre le vertige de l’oubli et l’inexorabilité du déclin. Il y a une double tendance chez elle pour laquelle elle est à la fois attirée et repoussée par la jeunesse et le nouveau. D’un côté elle voudrait jouer Nina, mais elle n’a plus l’âge pour ce rôle, elle ne peut plus jouer son rôle préféré, elle souffre sa vieillesse. Et puis, elle ne comprend vraiment pas cette scénographie minimaliste, cette nouvelle manière de faire du théâtre ! De l’autre côté, elle invite la comédienne qui l’accompagne sur la scène à la guider, puis à continuer ses phrases, puis, enfin, à prendre le relai.

Il y a des spectacles qui surprennent en employant des moyens scéniques imposants, d’autres qui cherchent à communiquer au travers d’un texte bien étudié, puis il y a en a d’autres, peu, très peu, qui avec leur sincérité arrivent juste tout droit où il faut. Tchaïka traduit sur scène un profond sentiment d’humanité de la manière la plus épurée et sensible. Juste sublime.

A propos Elisa De Angelis 55 Articles
Journaliste du Suricate Magazine

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